Nos lectures BD, AOUT 2020 (2)


A
la croisée des genres manga (à la
Kiriko Nananan) et comics, notons Mes ruptures avec Laura Dean, par Mariko Tamaki au scénario et Rosemary Valero-O'Connell aux dessins. On suit ici une tranche de vie de Freddy, une adolescente lesbienne, de ses déconvenues au besoin de se respecter elle-même. Plutôt introvertie et souffrant d'une dépendance affective envers la très garçonne et fêtarde Laura, qui se permet allègrement de "butiner" ailleurs, son histoire (de près de 300 pages en noir et blac, gris et rose) touchera en priorité la jeunesse gay, mais aussi les adolescents sensibles, surtout ceux heurtés par une première rupture sentimentale.
Paru chez Rue de Sèvres.
 
L
a question d'identité sexuelle, on la trouve également dans le conte gentiment libertin Peau d'homme, par Zanzim (au dessin) et Hubert (scénariste décédé en cette année 2020). Si le trait et les couleurs s'avèrent de prime abord beaucoup plus simples qu'aux débuts de leur collaboration (l'excellente série Les yeux verts), l'efficacité narrative du duo fait une fois de plus des merveilles (comme dans La sirène des pompiers et Ma vie posthume). 
 
Cette fable-ci se déroule probablement à la (haute) Renaissance italienne, avec comme héroïne une demoiselle belle et pure, désireuse d'en connaître davantage sur l'époux à qui on l'a promise. Sa bonne marraine lui prêtera en secret un objet magique, une peau d'homme qu'il lui suffira d'enfiler pour passer incognito dans les lieux que fréquente son futur mari. Surprises et troubles insoupçonnés en perspective. 
 
Si cette BD ravira les adultes coquins qui restent attachés aux contes classiques, il s'agit fondamentalement surtout d'une ode à la tolérance. Peau d'homme est d'ores et déjà à compter parmi notre "best of" de l'année 2020 !
Publié par Glénat.
 
S
i vous aimez leurs oeuvres et vous êtes un jour penché.e sur la relation trouble qu'entretenaient les grands écrivains Henry Miller et Anaïs Nin et aviez,
comme nous, été déçu.e par le film qu'en avait fait Philip Kaufman (en 1990), nous vous recommandons cette nouvelle (extrêment libre) adaptation de Henry and June en BD,  intitulée Anaïs Nin, sur la mer de mensonges
 
La dessinatrice suisse Léonie Bischoff offre un regard non-jugeant, subtilement retranscrit au crayon multicolore, sur les années 1928-1934 d'une femme qui refusait ce qu'il était attendu d'une épouse à cette époque (fidélité, maternité...). En tant qu'écrivain aussi, elle tenait tête à ceux qui voulaient corriger la féminité de son style. Séductrice, Anaïs se cherchait dans les émois parfois au-delà de l'acceptable, au travers de tous ses sens, se réveillait au contact d'artistes et se découvrait dans sa propre liberté créative. Les mises en pages alternent sobriété et audace, faisant appel à des métaphores visuelles et parfois des modulations dans le type de dessin, au gré des événements relatés dans ce "biopic" partiel.

Pour être réellement intéressé par cette tranche de vie, il faut affectionner les errances amorales et nombrilistes, mais c'est la joliesse et la force du traitement graphique qui en fait de la très belle ouvrage. Editée par Casterman.


On reste sur le thème des relations tumultueuses, avec un pavé de presque 400 pages noir et blanc... dont nous aurions aimé vous dire davantage de bien : c'est Le journal de Clara, adaptation en BD des écrits de la maîtresse de Mussolini, paru chez Actes Sud-l'AN2 par Pauline Cherici et Clément Xavier
 
Clara Petacci consigna en effet, entre 1932 et 1945 (date de son décès), sa romance avec le "Duce" et ses observations au balcon du régime fasciste. Un témoignage des années de guerre sous l'angle du rapport sexe-pouvoir-folie, voilà un sujet qui aurait été détonnant avec un traitement graphique cauchemardesque, tel qu'en est capable Dave McKean (cf. Black Dog chez Glénat) ; avec un réalisme cru à la Hermann (cf. Sarajevo Tango) ; ou avec des images stylisées et hantées comme peuvent l'être celles de David B. (cf. Le Tengu carré, Le jardin armé)... La présente transposition en BD manque par contre d'audace narrative, de force et d'attrait dans le dessin. Dommage.


D
es relations amoureuses à la sexualité explicite, il n'y a qu'un pas. Nous avons donc été également voir du côté de
chez Porn'Pop, un label du groupe Glénat.  
 
Clotilde Bruneau et Isa Python y signent  Mal tournée ! Si l'album nous a amusés par quelques scènes délurées et délirantes, la BD se satisfait malheureusement d'un dessin storyboardé mis en couleur à la va-vite et d'un scénario dont les seules surprises sont visuelles. L'histoire, où une jeune femme souffrant de gueule de bois se réveille dans un monde où ses fantasmes sexuels apparaissent à tous coins de rue (jusqu'à lui faire perdre complètement son sang froid) n'a en effet pas grande originalité et ne marque pas par son dénouement très convenu.

E
n revanche, en matière d'érotisme torride, doublé d'une réflexion de fond sur le couple, la fidélité, l'infidélité, les possibles pratiques de l'échangisme, les plaisirs et déconvenues des pratiques libertines, Jean-Louis Tripp signe un second tome de sa série Extases (chez Casterman) et c'est... foudroyant ! L'auteur,
qui avait partagé durant plusieurs années le dessin de la série Magasin général avec Loisel, y est au sommet de sa maîtrise graphique. Il prouve aux dubitatifs que le sujet méritait bien d'en faire une série, qu'elle ne s'adresse pas qu'à des libertins potentiels ou chevronnés, mais aussi à tous les amoureux ayant envie d'ouvrir la discussion et les fantasmes dans le respect mutuel. Et à tout amateur de bonnes bandes dessinées pour adultes, tout simplement. Coup de coeur. On attend avec impatience le 3e tome.

D
u sexe débridé, passons au graveleux, au trash, à l'humour noir, tout en restant dans le déjanté, avec les enquêtes de San-Antonio adaptées en BD. C'est toujours aux éditions Casterman et celui qui s'approprie ici l'univers de Frédéric Dard,
c'est Michaël Sanlaville, avec l'efficacité narrative qu'on lui connaît (Hollywood Jan, Le fléau vert, Last Man), son goût pour les références multiples (Renaud et Brigitte Bardot en "guest stars" ici) ainsi que sa propension à outrepasser les limites du bon goût. Sur ce plan, il y a évidemment de quoi s'éclater avec San-Antonio !... même si le graphisme et les couleurs numériques s'avèrent - à notre avis - trop "lisses".  
 
Nous aurions préféré voir s'y coller François Boucq,  déjà responsable d'illustrations pour la série de romans, mais le bougre a ses propres univers à développer, ce qu'il fait vraiment très bien. Une quête intérieure tout en extérieur, le dernier Moucherot en date (publié au Lombard), est d'ailleurs génialissime !

A
noter au passage que le comparse de Sanlaville sur Lastman, Bastien Vivès, s'est parallèlement essayé à un polar, mais dans un genre beaucoup plus sérieux.
Ca s'appelle Quatorze Juillet, c'est scénarisé par Martin Quenehen
 
On y trouve un peintre, venant de perdre son épouse dans un attentat, qui trouve refuge avec sa fille Lisa dans un village de campagne. C'est là qu'un jeune gendarme, se sent interpellé par leur vécu, charmé surtout par l'adolescente, au point de s'improviser ange gardien. Les prenant secrètement en filature, il semble prêt à jouer au justicier si le besoin devait s'en faire sentir. Judicieuse idée ou non ? On ne va évidemment pas vous en dévoiler davantage. 
 
Ça se laisse lire, sans plus. Vivès est toujours impressionnant dans son art du découpage, dans ce qu'il parvient à suggérer avec une économie de moyens. Comme pour Le chemisier, il conserve ici le type de graphisme adopté sur Polina, mais en moins mémorable.

Chronique collective de la rédaction Asteline