BD : Ulysse & Cyrano

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e prix de 35 € est élevé pour se lancer dans sa découverte, mais voilà une bande dessinée dont l’aspect est d’emblée irrésistible : grand format, magnifique dessin de couverture, avec une texture toilée et plus de 160 planches qui s’annoncent alléchantes. Au vu de la notoriété du scénariste Xavier Dorison (Le Troisième Testament, Long John Silver, Le Château des animaux…), les éditions Casterman ont mis les petits plats dans les grands et ce n’est pas peu dire, vu le thème largement culinaire du livre.



1952. Uysse est un adolescent issu d’une riche famille industrielle. Il est animé d’envies artistiques mais sa "bonne éducation" le rend docile à un emploi du temps strictement régulé, formaté pour réussir de brillantes études et  reprendre un jour les rennes de la société cimentière familiale. Sauf que... l'entreprise se voit prise dans la tourmente d'une accusation grave et rendue publique : celle d'avoir collaboré avec l'ennemi allemand durant la Seconde Guerre mondiale. Pour être relativement préservés, Ulysse et sa mère vont s’exiler dans leur manoir de campagne tandis que le père fera face au tumulte médiatique et au procès.

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a vie du garçon se doit d’y rester très cadrée, supervisée par des domestiques et un répétiteur sévère pour assurer sa future réussite scolaire. 

C’est malgré tout dans cet environnement bucolique qu'Ulysse croisera la route de Marie, une jolie "roturière", et puis, par le hasard d’un accident, celle de Cyrano. Cet homme corpulent, barbu, épicurien, parfois caractériel, vivant en réclusion était autrefois un grand cuisinier, qui, sur un coup de tête, mit fin à son activité, brûlant même son propre restaurant et se mettant beaucoup de villageois à dos. La rencontre entre Ulysse et Cyrano sera alchimique, éveillant les sens, les papilles, le talent caché et la créativité du premier, et ramenant le second progressivement au monde et à l'acceptation d'un déni... que je ne vous ferai évidemment pas l'affront de dévoiler. 



 
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e ton émancipateur est forcément jouissif et rappelle Le Cercle des Poètes Disparus (Dead Poet’s Society, de Peter Weir, 1989), en plus solaire. Si cette bande dessinée a quelque chose d’un peu convenu, de "déjà vu" dans la forme comme dans le fond, l'histoire offre néanmoins un moment de lecture "feel good", avec des protagonistes attachants, un récit à la fois dense et laissant beaucoup de place aux détails, aux ambiances. 
 
C’est bien sûr très bien narré et dialogué par Xavier Dorison, qui, en collaboration avec Antoine Cristau, change ici de ses registres dramatiques habituels. Et puis la mise en scène par le dessin de Stéphane Servain est d'une grande maîtrise et expressivité. Les amateurs de Frank Pé, de Christian Rossi, de Cyril Bonin, ou encore de Pierre Alary (cf. la récente adaptation de Gone with the wind) devraient y trouver leur compte, tout comme les fins gourmets et autres cordons bleus, puisque les dernières pages proposent même quelques recettes de cuisine (non-végétariennes, je précise).

Chronique par Joachim Regout

BD parue chez Casterman