Nos lectures BD, AOUT 2020 (1)

Curiosité, quand tu nous tiens ! Voici en résumé, en vrac et dans le désordre nos plaisirs de lecture et nos déceptions de ces dernières semaines,
tous styles confondus, du plus "familial" au "classé X" (ce qui fera l'objet d'un autre article, bande d'impatients fripons).

Commençons avec un ouvrage de divertissement "tous publics" qui ne paie pas de mine de prime abord, avec son dessin un peu "fanzineux", ses pages en bichromie, son assez petit format et sa couverture souple : 109 rue des soupirs de Mr Tan et Yomgui Dumont.

Elliot a des parents affairistes et continuellement absents. Ce n'est pas pour autant qu'il souffre de solitude et d'inactivité dans cette grande maison peuplée de fantômes... somme toute sympathiques, atypiques et fatigants aussi, puisqu'ils n'ont de cesse de se chamailler entre eux. Mais des bouleversements se préparent et vont donner du fil à retordre à notre petit héros et ses amis : d'une part, une lettre annonce l'arrivée d'un inspecteur de l'au-delà, qui souhaite clarifier les origines des spectres et leur emploi du temps ; d'autre part une célèbre chasseuse de fantômes semble avoir repéré la bâtisse comme un lieu propice pour prouver ses théories aux médias.

Il n'y a pas matière à s'ennuyer une seconde et nous avons apprécié les retournements de situation jusqu'à la fin. Une petite BD jubilatoire publiée par les éditions Casterman.

N
ous vous avions déjà fait part de la tendresse que nous éprouvions pour L'ours Barnabé... et nous n'en démordons pas : son 20e tome, paru à La Boîte à Bulles, est un très bon cru.
Philippe Coudray nous refait des séquences en une planche où il mélange / alterne l'art de la poésie surréaliste, de l'allégorie (sur les absurdités humaines), de la philosophie pour tout âge et de l'humour enfantin. Comme l'indique le titre, Visite guidée, il est ici souvent question d'art et de collections muséales. Un  bonbon littéraire, à savourer entre deux lectures plus conséquentes.

E
t justement, le même éditeur
propose évidemment aussi des bandes dessinées plus denses, au contenu inattendu et pour un public ado-adulte, comme le très bon roman graphique Rivière d'encre.

Etienne Appert (dont nous avions déjà apprécié La femme de l'ogre) s'y interroge sur les raisons qui ont toujours poussé les humains à dessiner. Il imagine se lancer sur une barque, sorte de machine à remonter le temps, voguant sur les flots de souvenirs personnels et s'immergeant dans des mythes universels (réinventés). L'auteur y croise aussi les dessinateurs accomplis Edmond Baudoin et François Boucq, qui offrent leur contribution à l'ouvrage (le premier y dessine, même). Les questionnements d'Etienne Appert ne peuvent évidemment pas trouver de réponses définitives, mais il aura fait de sa réflexion un beau voyage pour lui-même et ses lecteurs.

Rivière d'encre est une œuvre d'art narrative qui sort du commun et qui pourrait plaire aux lecteurs déjà conquis par Habibi de Craig Thompson ou Le Sculpteur de Scott McCloud, par exemple.

L
es questions et les réflexions, c'est bien sûr aussi le rayon du développement personnel, et voilà qu'on commence à voir poindre quelques BD dans ce registre-là. Il y avait déjà les tomes "feel good" et tendres de Le jour où... par Beka, Marko et Maëlla aux éditions Bamboo. C'est au tour des éditions Glénat de lancer une collection intitulée "Les Nouvelles Routes du Soi", en invitant plusieurs scénaristes et dessinateurs - plus réalistes dans le style - à y participer. 

D
ans Donner c'est recevoir (la mécanique du don), par Grésy et Porcaro, il est question de deux frères ennemis, du besoin impératif d'un don d'organe et de savoir s'il est possible d'être altruiste sans être un imbécile ?

Dans Apprendre à maîtriser son destin, la protagoniste, Lila, tente de couper les ponts avec un frère et un père toxiques mais la résurgence du passé familial peut advenir de manière inopinée et l'aide provenir d'où on ne l'attend pas.

E
st-il possible qu'il y ait une mémoire
indépendante du corps et du cerveau ? Qu'en disent les neurosciences aujourd'hui ? C'est Makyo (Ballade au bout du monde) qu'on retrouve à la plume du récit fictif, avec une approche des personnages et de la spiritualité qu'on avait déjà pu percevoir dans des récits comme Elsa (qu'il avait scénarisé autrefois pour Faure).

Des BD "à messages" bien réalisées mais qui sentent un peu trop le travail de commande selon nous. Un manque de charme renforcé par une maquette de collection ratée et le choix de l'éditeur de publier les planches en valeurs de gris pour des raisons financières (vu le prix de chaque livre et les moyens d'une grosse structure comme Glénat, ça laisse à désirer). Bon point en revanche pour les postfaces du philosophe et thérapeute Denis Marquet, vraiment intéressantes.

D
ans un autre registre de BD "réalistes", Frank Le Gall (Théodore Poussin) a écrit Mary Jane, une tranche d'histoire romancée pour laquelle il s'est associé à Damien Cuvillier pour la mettre en images. S'appuyant sur le personnage de Mary Jane Kelly, une des victimes de Jack l'éventreur, les auteurs décrivent une vie entière à être la proie de la misère et des dérives de la révolution industrielle anglaise du XIXe siècle. Des planches de grande maîtrise à tous niveaux, pour une histoire évidemment pas drôle du tout. Un bon one-shot, paru chez Futuropolis.

Tout comme la première bande dessinée de Joris Mertens, parue chez Rue de Sèvres. Intitulée sobrement Béatrice,  elle mérite d'être mentionnée pour la beauté des planches - qui ne laisseront pas indifférents les amateurs de Gibrat, de Crécy, Loisel et Tripp - davantage que pour l'histoire, muette (donc vite lue), joliment mélancolique mais nous laissant trop sur notre faim.

L
e dessinateur y imagine une jolie anti-héroïne, célibataire, vendeuse au rayon gants d'un grand magasin parisien. Décalée par rapport à son époque, amatrice de belles choses évoquant les années folle, aspirant à une romance fantasmée, son quotidien lui semble répétitif et morose. Jour après jour, elle remarque, lors de son passage dans la gare, un sac rouge qui semble n'attendre qu'elle. Evidemment qu'elle se décidera de l'emporter, d'en découvrir son contenu... ce qui aura peut-être un prix.

Un talent à suivre.

Chronique collective de la rédaction Asteline