Editeur : Casterman
Que ce soit pour le plaisir de se prendre une agréable "claque" visuelle et scénaristique ou que ce soit pour rire, le lecteur de bande dessinée peine parfois à trouver son bonheur dans une abondance de parutions moyennes ou décevantes. Le second âge d’or artistique de l'"art séquentiel" semble révolu depuis une dizaine d’années. Il existe heureusement encore de nouveaux talents capables de nous dérouter et de nous émouvoir, mais les rares chefs-d’oeuvre de ces dernières années me semblent souvent signés par des auteurs chevronnés qui s’aventurent là où on ne les attendait pas, repoussant sans cesse leurs limites : Craig Thompson avec Habibi, la troisième association de François Boucq et Jérôme Charyn pour Little Tulip, Scott McCloud avec Le Sculpteur, Larcenet avec ses noirissimes Blast ou encore Frederik Peeters avec… une impressionnante succession de réussites créatives (reportez-vous à la liste en bas d’article*).


U.S.A., à la fin de la guerre de sécession. Trois protagonistes sont débauchés par de riches anonymes pour une mission d’exploration dans les grands espaces “vierges” : un géographe autoritaire et ambitieux, un photographe en exil, éclaboussé par un scandale et un garçon de ferme pour l’assistance logistique. Leurs vécus, mais surtout la gamme de leurs échanges, explicites ou non-dits - que ce soit dans les répulsions, les attractions ambigües ou les rapports de pouvoir - , dressent un tableau fouillé et bouleversant de leurs psychologies. Au point de nous surprendre en cours de récit, tout en restant cohérent.
Malgré plusieurs menaces potentielles qui pèsent sur le trio, tels des indiens imprévisibles ou un supposé chasseur de primes, l’ennemi véritable émane du versant le moins noble de l’être humain, prompt à soumettre, imposer, abuser et à détourner les cycles naturels de la vie selon son bon vouloir. Plutôt qu’un énième western basé sur la loi du talion, celui-ci est bien une métaphore de la dérive conquérante sur laquelle s’est fondée la civilisation américaine (et la nôtre).
Un titre énigmatique, un album exceptionnel… même si la résolution finale me semble trop reposer sur sa seule efficacité visuelle. On passe d’atmosphères, de psychologies et de situations ayant pris le temps de s’installer avec subtilité, à une précipitation d’action spectaculaire, scénaristiquement facile. Pas de quoi empêcher un gros coup de coeur en refermant l’album, mais un tout petit goût de trop peu.
Chronique par Joachim Regout
* Lisez toutes nos chroniques concernant les BD de F. Peeters :
- Pachyderme
- RG
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- Koma
- Lupus