Il était très attendu, ce premier tome de La Bête, présentant un Marsupilami semi-réaliste, dont l’histoire se voit ré-imaginée par deux "pointures" : Zidrou* au scénario et Frank Pé* (qui, jusqu’ici, ne signait que de son prénom) au dessin. Les premières planches présentent un port d’Anvers pluvieux et en clair-obscur, en l’an 1955. Il y est question d’un trafic illégal d’animaux exotiques qui a mal tourné, dont seul un étrange singe à longue queue aurait survécu.
Cette introduction est cinématographique, mystérieuse, tout en clair-obscur et les personnages humains caricaturaux qui y font irruption portent des noms évocateurs des grands noms de la BD belge. Au-delà de ces premiers clins d’oeil, ce seront, plus loin, carrément la physionomie de Jijé qu'on reconnaîtra dans le directeur d'école bruxelloise, et surtout celle du créateur du Marsupilami, André Franquin*, qui prête ses traits à Monsieur Boniface, un professeur doux rêveur qui tiendra un rôle important dans le récit.
Les autres protagonistes sont une mère seule et son jeune fils, François, qu’elle a eue d’une union furtive avec un soldat allemand pendant la guerre. Il n’en faut pas plus pour faire du gamin le bouc émissaire de ses camarades de classe. Il trouve néanmoins consolation auprès de multiples animaux abandonnés qu’il recueille et soigne, transformant la très modeste maison familiale en un refuge. Un soir, il rentrera avec une bête pour le moins inhabituelle et très mal en point.
Un bon moment de lecture, où les auteurs prennent le temps et l’espace (152 planches, de grandes cases) pour installer des atmosphères et un suspense qui trouvera sa résolution dans un second tome. Zidrou fait du sur-mesure pour Frank, et à la fois… si, séparément, plein d’éléments sont attachants, drôles ou tragiques, la "sauce" ne prend - selon moi - pas encore tout à fait, pour le moment. Cela à cause d’inégalités et d'hésitations de ton. Graphiquement on est parfois proche des caricatures prononcées des premiers Broussaille (et l'adorable marcassin rappelle les Sculpteurs de lumière) ; parfois proche du triptyque Zoo, nettement plus grave et réaliste. Le volontairement grotesque et la noirceur de certaines situations se succèdent ou se mélangent donc... ce qui peut avoir comme conséquence de nous laisser un peu en retrait du récit. Un chouïa perturbant aussi sont ces quelques contenus de cases "copiés-collés" de l'une à l'autre, ce rendu statique contrastant avec le dynamisme général des mises en pages et des cadrages. Sur le plan des dialogues, les bribes de dialectes (wallon et bruxellois) m'ont fréquemment semblé plus "greffés" qu’intégrés fluidement dans les textes.
Ces petits bémols ont légèrement interféré dans mon immersion, mais on est quand même face à du haut niveau, bien entendu. Seule la suite déterminera de l'incontournabilité de l’œuvre ou non.
La grande réussite ici est d’être parvenu à recréer le Marsupilami de cette façon. Frank Pé confirme une fois de plus être un dessinateur animalier hors pair. Il trouve ici aussi l’occasion de très bien restituer sa ville d’origine telle qu’elle était à l’époque de sa naissance. Dans des teintes tristes toutefois, pour appuyer les conditions de vie dures dans lequel se déroule l'histoire de La Bête.
Chronique par Joachim
Cette BD est publiée par les éditions Dupuis.
* A lire aussi, nos avis à propos de :
- Zoo (par Frank et Bonifay)
- Spirou et Fantasio : Intégrale tome 3 (par Franquin)
- Marsu Kids (Marsupilami par Conrad et Wilbur)
et plusieurs livres scénarisés par Zidrou :
BD : Clifton T22
BD : L'indivision
BD : La peau de l'ours
BD : Lydie
BD JEUNESSE : Une aventure de Chlorophylle T01
BD JEUNESSE : Schumi
BD JEUNESSE : Boule à zéro T01
BD JEUNESSE : Boule à zéro T09
JEUNESSE (livre illustré) : Monsieur Balouka