BD : Le Siècle d'Eva

Auteur : Yslaire
Editeur : Casterman

 
Qui est cet ange, cet être éternel, anonyme, mémoire du siècle ? Qui parle sans les mots ? Qui voit ? 

Eva Stern, à 99 ans et sur le point de mourir, continue de recevoir des messages de cet étrange @nonymous, expéditeur muet, retraçant l’histoire de sa vie que la maladie d’Alzheimer lui fait oublier. De la révolution russe à la mystérieuse mission Apollo 18 en passant par Aushwitz, c’est un siècle d’existence qu’il ressuscite, apportant sa vision par des retouches subtiles à ces mystérieuses photos envoyées en chaîne. S’agit-il de Frank, son frère disparu ? Prétendument mort en 1916 mais toujours présent, toujours visible sur tant d’images… "Ich bin ewig – Je suis éternel". Quel mystère se cache derrière cet ange, quelle histoire derrière ces yeux ? 

Un sentiment de merveilleux, d’étrange, plane ainsi au travers de cent ans d’Histoire. Une évocation superbe des moments forts de ce siècle si riche, si mouvementé, si destructeur et pourtant si fertile. Encore une fois, l'art, le coup de crayon et les personnages exceptionnels d’Yslaire*, magnifiés par l'association avec deux infographistes-maquettistes, donnent une très belle dimension à cette bande dessinée, une transposition crue des sentiments, de la profondeur. 
 
Avant d'exister sous forme d'intégrale compacte, rebaptisée Le Siècle d'Eva (Biographie d'un Ange du XXe ciel), ce récit hors du commun fût inauguré aux éditions Delcourt avec l'album inabouti Mémoires du XXe Ciel 98 (1999), puis repris et poursuivi en série aux Humanoïdes Associés : XXeciel.com était composé de deux tomes d'introduction, les deux suivants présentant chacun un dénouement différent. Deux comme les deux tours du 11 septembre 2001, symbole fort des certitudes soudainement ébranlées du siècle dernier. "Deux albums, c’est la suggestion qu’il n’y a pas Une Vérité, que l’Histoire est d’abord le produit de plusieurs histoires. Qu’il est trop tôt pour en faire une théorie." nous disait alors Bernard Yslaire

Dans la nouvelle édition, l'une de ces fins alternatives se lit en retournant l'ouvrage, les deux versions se rencontrant. A cette petite idée formelle s'adjoint une préface du réalisateur Jaco Van Dormael et un dossier rétrospective sur ce roman graphique d'avant-garde.

Le Siècle d'Eva est le résultat d’une prise de risques, d’un projet plus ambitieux encore que les intentions de départ de son auteur, une incitation à la remise en question constante sur l’Histoire et les détournements d’images. Le tout sur fond de communication Internet et de psychanalyse (sujet sur lequel la profession de son épouse, thérapeute, a été d'une grande aide). On aurait pu craindre des considérations intellectuelles vaniteuses, mais c'est plutôt à une réflexion humble qu'invite ce livre.

Une vraie innovation, comme la bande dessinée en avait (et en a) besoin pour continuer à évoluer.