A l’occasion de la commémoration des 200 ans de la naissance de Charles Baudelaire, notons plusieurs livres parus autour de ce poète à compter parmi les plus emblématiques de la poésie française… même s'il n’écrivit finalement pas énormément de vers en dehors de ses célèbres Fleurs du mal (1857).
La collection de poche de Gallimard, Folio, réédite ce chef-d’œuvre littéraire dans une version inhabituelle, sans commentaire ni annotations, mais illustrée de photographies florales par Mathieu Trautmann. Reliure cousue, couverture semi-rigide, typographie anguleuse, vintage et argentée (un côté Dr. Calligari). Ces particularités teintent la (re)lecture de ce classique d’une atmosphère délicatement dérangeante, "gothique", presque vampirique.
Au même format, mais dans une présentation plus habituelle et à petit prix, Folio propose aussi De l’essence du rire (et autres textes), où on découvre Baudelaire critique d’art, commentant les réalisations de caricaturistes qui lui sont contemporains, tels Daumier, Gavarni, Hogarth ou encore Grandville… qu’il n’épargne pas ! La personnalité volontiers acerbe, provocatrice, souvent détestable qu'il affiche donne d’autant plus de crédit à une biographie romancée et truculente que lui consacre Jean Teulé. Elle s'intitule Crénom, Baudelaire !, en référence à la seule exclamation que le poète était encore capable d'articuler avant de rendre l'âme, et c'est paru aux éditions Miallet-Barrault. Une très bonne version en livre audio, lue par l'acteur Dominique Pinon, a quant à elle été publiée par Gallimard.
Ancien journaliste, bédéiste et actuellement écrivain, Teulé n’en est pas à son premier coup d’essai dans ce type d’exercice, puisqu'il a déjà consacré des bouquins à Rimbaud, Verlaine ou encore Villon… Les puristes reprocheront au romancier d’encore une fois forcer le trait pour donner à son sujet un parfum de scandale contemporain. Mais à la fois, les éléments sulfureux véridiques ne manquent pas dans la vie de Baudelaire, véritable punk avant la lettre, excentrique dans ses looks, excessif dans sa consommation de drogues, pervers dans ses rapports avec les femmes. Jean Teulé s'empare de ces éléments et comble bien sûr les trous de l’Histoire avec des scènes à l'avenant. Celles-ci ont donc possiblement existé, cohérentes avec les documents d'archives et témoignages dont nous disposons, mais sont quand même issues de son imagination. Et l'imagination de Teulé se délecte de ce qui est outrancier, drôle et grinçant. Il restitue de manière très crédible la personnalité aussi haute en couleurs que peu affable de Charles Baudelaire, au point que, comme ses amis, on s’y attache, par curiosité ou par pitié. Et puis il y a la non-moins importante réinvention de Jeanne Duval, cette métisse dont on ne sait pratiquement rien, sinon qu'elle fût sa muse et compagne... avec qui tout fût compliqué et évidemment rien ne pût être officialisé.
Dans un autre ouvrage, une bande dessinée cette fois, Bernard Yslaire lui aussi se penche sur cette idylle, rendant - dès le titre - justice à cette dame qui inspira tant de poèmes puissants. Celle qui est surnommée ici Mademoiselle Baudelaire semble particulièrement stimuler le créateur de Sambre et du Siècle d’Eva. Jeanne Duval revêt ici une identité différente, moins ingrate, que la vision qu'en donne le roman Crénom, Baudelaire !. Contrairement à Teulé aussi, Yslaire n'use d'aucun humour - ni noir, ni jaune - mais bien de ce don, une fois de plus, de magnifier un amour tragique et des vies sordides grâce à la sensualité (torride), l'esprit romantique (au sens littéraire) et la beauté formelle de ses pages.
Mademoiselle Baudelaire est édité dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis.