ENTRETIEN AVEC BARU - partie 1

Fils d’un ouvrier italien immigré et d’une Bretonne, Hervé Baruela, dit Baru, s’est donné un projet de vie : exprimer non pas ce qu’il est, mais ce qu’ils sont. Son "nous", c’est les prolos... qui peupleront toute son œuvre, de Quéquette Blues à L’Enragé, en passant par Le Chemin de l’Amérique, L’autoroute du Soleil, Sur la Route Encore et Les Années Spoutnik. Nous l’avons rencontré à l’occasion de l’exposition "Ritals, Polaks, Métèques, Racaille", le populo en bandes dessinées, qui s'est tenue du 9 mars au 13 mai 2007 au Palais des Beaux-Arts de Charleroi (Belgique). Discussion à bâtons rompus sur la BD un peu, et beaucoup sur le sens de tout ça.

Interview par Geoffroy d’Ursel :

Vu que peu de photos de toi qui circulent sur Internet ou ailleurs, je m’attendais à rencontrer le personnage de Sur la route, encore. Je ne suis pas déçu.
Baru : (Rires) A priori, je n’ai pas de problème pour confectionner un personnage. En fonction de sa psychologie, je lui trouve les traits qu’il faut pour exprimer ce qu’il a à exprimer. Et il se trouve que pour le personnage de Sur la route, encore, je n’y arrivais pas. C’est pour ça que j’avais commencé par ne pas le mettre (ndlr. : les trois premiers quarts de l’album sont en "caméra subjective" : l’action est vue à travers les yeux du protagoniste, que le lecteur ne voit donc pas). Je n’arrivais pas à lui trouver des traits, jusqu’à ce que je me rende compte que j’étais en train de parler de ma génération. Il fallait que je représente quelqu’un de familier, et je me suis vaguement auto-représenté. Et il y a une photo de moi sur Internet. Elle date de quand j’avais trente ans (je préfère).

C’est de la modestie ?
Non, non. Je ne vois pas l’intérêt… En plus, je n’ai pas l’impression que je parle de moi là-dedans. Je parle des autres. Je suis dedans, mais dans les autres, quoi. (Il montre la couverture du catalogue de l’expo : un dessin représentant une famille immigrée italienne devant une maison ouvrière, avec une usine en arrière-fond). Ca par contre, c’est important. C’est ma famille. Et l’aîné, là, c’est moi.

Tu n’es pas tombé dans la BD quand tu étais petit ?
Quand j’étais gosse, je lisais de la BD dite franco-belge. Mais je suis tombé dedans assez tard, à plus de 25 ans. J’avais recommencé à en lire par le biais de Hara Kiri, et surtout parce que j’étais complètement subjugué par le génie de Reiser. Parce que Reiser parlait du monde comme il en parlait, je me suis dit que peut-être je pouvais en faire autant. Je me suis rapidement rendu compte que ce n’était pas possible. Mais en essayant, j’ai mordu à l’hameçon. Et après, c’est une question de travail, de tourner autour du pot pour arriver à dessiner de manière à représenter ce que je voulais dire. De tâtonnement en tâtonnement, de pied devant l’autre en pied devant l’autre. 25 ans après, on y est encore.

On n’arrive pas comme ça, au pifomètre, au dessin, non ?
Ben si. C’est presque une question de désir. De volonté. J’avais vraiment envie de faire ça. Arriver à dire des choses comme Reiser, avec si peu, je trouvais ça extraordinaire d’économie. Même si après les constructions sont alambiquées, il faut trouver une économie abordable. Même quand tu sais peu de choses, tu peux arriver à prendre un papier et un crayon, et à faire des traits et des taches sur une feuille. Après, c’est une question d’assiduité au travail.

Donc c’est avant tout l’envie de dire des choses.
Bien sûr. Sans ça je n’aurais jamais dessiné.

Envie de dire quoi ?
Mon projet, c’était mettre en avant ce que j’étais. Ce qu’on était. Ma culture. La culture ouvrière. Mettre en avant des personnages qui n’avaient pas les honneurs des représentations en général. Notamment ils n’étaient jamais des personnages de fiction, de romans, à part pour servir de faire-valoir, à la manière d’un Zola. Je voulais leur donner le premier rôle.