Lectures BD du mois de FEVRIER 2022

V
oilà un bouquin qu’on attendait de pied ferme, David Sala nous ayant déjà conquis dans un registre "jeunesse" (voir ici, ou encore ) et avec son adaptation en BD du Joueur d’échecs (roman de Stefan Zweig). 
 
Si Le poids des héros est visuellement sublime - évoquant tour à tour Schiele, Klimt, Chagall -, le titre ne ment pas sur la marchandise car on referme le livre un peu plombés… Pas tant à cause des destins héroïques et tragiques de ses grands-pères résistants dont l’auteur raconte l'histoire ; mais plutôt par les éléments autobiographiques, souvent anecdotiques, par ce regard empreint de mélancolie sur quatre générations de la famille Sala
 
Plutôt qu’un récit "devoir de mémoire", l’impression qu’il nous reste est celle d’une longue dissertation dessinée sur le contraste entre la force de deux aïeuls et la fragilité de l’existence en général. La maestria du trait et la vivacité des couleurs éblouissent, mais ne parviennent pas à rattraper la tonalité contagieusement triste qui émane de l’ensemble.

Le poids des héros est paru aux éditions Casterman.
 
S
ous les galets la plage
nous plonge en 1963, dans une petite ville balnéaire. Trois grands adolescents dits "de bonne famille" comptent profiter de l'absence de leurs parents pour goûter à des vacances plus libres, ainsi qu'à quelques bonnes bouteilles "empruntées" dans la caves paternelle. Une nuit qu'ils se réunissent sur la plage pour se cuiter, ils sympathisent  avec une jeune femme peu farouche, qui s'éclipsera cependant assez vite, craignant l'arrivée de la police. La demoiselle saura ultérieurement tirer parti de cette rencontre avec ces jeunes nigauds. 

 
Le somptueux graphisme au lavis du Pascal Rabaté période Ibicus nous manque, mais l'auteur n’est pas en reste de bonnes idées d’histoires. Son dessin simplifié et concis les sert bien. On se posera en revanche la question de la nécessité de publier ce livre à un si grand format. Mais sinon rien à redire, c’est un très bon cru, avec un petit esprit anar de derrière les fagots et une moralité gentiment incorrecte. Et non, ce n'est pas un bouquin de cul.

Sous les galets la plage est paru aux éditions Rue de Sèvres.
 
Un ouvrage d'anticipation à présent. Dans ce futur supposé proche, il y aurait incommunicabilité entre les femmes et les hommes, tout juste bons à se mettre en couple avec leurs robots de compagnie respectifs, évidemment programmés pour être hyper-attentionnés. Mais tandis que se poursuit la dégénérescence de l’être humain  - dont le représentant est ici l’alter-ego vieillissant, bedonnant, puis carrément alcoolique et cocaïnomane de l’auteur, Patrice Killoffer - , la toute nouvelle génération du robot domestique s’avère si intelligent qu’il rechigne à servir son propriétaire et travaille dans l’ombre à la conception d’un "humain augmenté" digne de lui. 
 
En chair et en fer est une BD muette, en noir et blanc, inspirée par l'essai Machines insurrectionnelles - une théorie post-biologique du vivant, par Dominique Lestel (que Killoffer avait déjà illustré). Derrière le dessin et la narration humoristiques se cache donc un propos philosophico-caustique. C'est vite lu mais bien vu. L'objet s'apprécie aussi, avec sa couverture argentée simili-métallique.

En chair et en fer est paru aux éditions Casterman.

N
otons pour finir une biographie d'Edgar P. Jacobs en BD, par
François Rivière (au scénario), Philippe Wurm (aux dessins) et aussi délicieusement "vintage" que ce que Stanislas, Bocquet et Fromental avaient proposé avec Les aventures d'Hergé. Le tour de force de Edgar P. Jacobs, le rêveur d'apocalypses est d'une part de ne jamais ennuyer le lecteur en lui relatant le parcours professionnel d'un homme pourtant discret et volontiers casanier ; et de l'autre de restituer ces péripéties dans un style graphique extrêmement proche de celui du créateur de Blake et Mortimer, fourmillant de détails. Un pari réussi.

Edgar P. Jacobs, le rêveur d'apocalypses est paru aux éditions Glénat