MONOGRAPHIE: Chris Ware, la bande dessinée réinventée

P
récisons immédiatement que ce livre est une réédition augmentée et actualisée du livre du même nom et des mêmes auteurs, sorti en 2010. Chris Ware ayant obtenu - en juin dernier - le Grand Prix du Festival d'Angoulême, c'est une belle occasion pour cette mise à jour.

Qui est Chris Ware ? Ni plus ni moins le plus grand dessinateur de bande dessinée vivant !

N
é en 1967, il se fait remarquer par Art Spiegelman en 1987 pour des strips dans un journal étudiant. C'est là qu'il y commence deux séries : Quimby the Mouse et Jimmy Corrigan. Dans les années '90, il débute une collection d'ouvrages, Acme Novelty Library, qui obtient de nombreux prix. Mais ce n'est au début des années 2000 qu'il atteint la reconnaissance internationale avec Jimmy Corrigan, the Smartest Kid on Earth, un pavé incroyable qui rassemble les aventures intérieures et émotionnelles de son anti-héros commencées à la fin des années '80. Une révolution visuelle et narrative.

B
uilding Stories
enfonce le clou quelques années plus tard (2012 en France). Un coffret de 14 formats différents, du petit dépliant de quelques centimètres à un journal, en passant par ce qui fait penser à un plateau de jeu cartonné. Tout cela au service exclusif d'histoires se construisant dans un même petit immeuble.

Rusty Brown est venu parachever notre émerveillement en 2020, dans un format assez similaire à Jimmy Corrigan, à l'italienne, en légèrement plus grand.

Q
ue nous apporte donc l'ouvrage de Jacques Samson (ex-enseignant au Canada en bande dessinée, cinéma, littérature) et Benoît Peeters (écrivain, scénariste et professeur à l'Université de Lancaster) ? Le livre se découpe en quatre grandes parties : des repères chronologiques ; deux entretiens réalisés par Benoît Peeters (2002 et 2021) ; la vision de la BD par Chris Ware à travers des introductions pour des ouvrages ou expositions ; et enfin l'art de ce génie décortiqué et expliqué par Jacques Samson. La toute fin de ce dernier chapitre est consacrée à la lecture détaillée de trois planches issues de Jimmy Corrigan et Rusty Brown. La totalité du volume est parsemée de reproductions, dont certaines inédites, mais malheureusement, et c'est là son seul défaut, en langue anglaise. C'est fort louable de vouloir montrer les versions originales, mais aussi très frustrant lorsqu'on n'est pas parfaitement bilingue.

Chris Ware, la bande dessinée réinventée, apporte un éclairage particulier sur l'œuvre du bédéiste. Certes, c'est un grand formaliste, un inventeur, expérimentateur du langage de la BD, qui montre qu'on n'a pas fini d'explorer toutes ses possibilités. Il joue avec l'espace et le temps, en les articulant, en réussissant à traduire la simultanéité d'éléments dans une seule page. Tout ceci en utilisant les capacités du lecteur à voir l'ensemble, puis la succession des cases et leurs associations.  Cette conception si élaborée n'existerait pas sans travail acharné et sans un amour immodéré, une connaissance encyclopédique et fine de son art.

M
ais l'œuvre de Ware est aussi extrêmement ambitieuse, ample comme des romans de Joyce ou Proust, exigeant du temps et de l'attention à sa lecture. Celle-ci révélera toute la profondeur thématique, le regard sur le monde, américain notamment, les laissés pour compte en particulier, et les petites choses de la vie. Derrière une certaine froideur de dessin affleure alors une grande sensibilité.

Ceux qui liront cette belle et réussie monographie seront certainement déjà des lecteurs de Ware, pour approfondir leurs connaissances, mais elle donnera à coup sûr envie aux autres de se lancer dans sa foisonnante bibliographie. Elle ne peut que réussir ces deux objectifs grâce à la qualité de sa réalisation, le sérieux de sa documentation, la passion qu'elle véhicule.

Chronique par Reynald Riclet

Chris Ware, la bande dessinée réinventée est paru aux éditions Les Impressions Nouvelles.


A noter que le même éditeur publie simultanément De Blueberry à l'Incal, lire Giraud/Mœbius, analyse pertinente mais qui met le lecteur dans l'embarras, à moins d'avoir toute l’œuvre de Gir à portée de main, car les pages sont dénuées du moindre visuel en support du propos. Pour cause, des histoires de gestion de droits par les héritiers. Pour le coup, notre recommandation prioritaire reste Docteur Mœbius et Mister Gir de Numa Sadoul... et bien sûr aussi d'aller fureter dans notre grand dossier.