ESSAI /ENTRETIENS : Ecrire par l’image

N.T. Binh et Jean-Paul Figasso coordonnent dans ce livre des entretiens éclairants avec des directeurs et directrices de la photo.
Voici quelques exemples de ce qu’on y trouve :



L
ubomir Bakchev, qui se rend souvent dans les écoles de cinéma, est stupéfait que les élèves soient aujourd’hui davantage conscients de la manière dont le montage est fait que le processus du découpage du scénario, suivi de la nécessité de laisser aux acteurs l’appropriation de l’espace, puis de choisir l’emplacement de la caméra.

"La scène doit exister comme une scène peut fonctionner au théâtre. Or, quand vous partez du découpage écrit, il est très difficile de trouver un rythme, que seule la scène dans sa globalité peut insuffler. Lorsque toute la scène fonctionne, nous pouvons alors choisir de quelle manière la filmer, et forcément le rythme sera là. (…) Le découpage fait en amont rassure mais, à partir du moment où on entre sur le plateau de tournage, je vous conseille de l’oublier pour voir comment cet espace se plie à vous. Et vous allez trouver des clés peut-être plus intéressantes que ce que vous avez trouvé sur le papier."

Yorgos Arvantitis, qui connaît l’argentique aussi bien que le numérique, conçoit les avantages de l’un et de l’autre, rappelle que l’important est le fond (et qu’en somme le métier n’a pas tant changé que ça) et qu’il importe, si on fait du numérique, de maîtriser parfaitement ses choix. Il y a, selon lui, une tendance à prendre la caméra sur l’épaule pour filmer tout et n’importe quoi. "La technique a dominé la pensée. (…) Lorsque le réalisateur arrive au montage avec des heures et des heures de rushs, il peut difficilement dire que l’oeuvre lui appartient complètement, car le travail de réécriture devient trop important."

L’ouvrage comporte aussi des exemples de stratagèmes qu’il faut adopter ou inventer. Yves Cape rassure même ceux qui ont de petits budgets : "Si, par exemple, on n’a pas l’argent pour peindre et remettre en état ensuite, on peut travailler avec des tissus. On va inventer quelque chose qui permette de recréer un univers comme si on avait peint tout le décor. (…) Pour moi, le seul luxe dans le cinéma, c’est le temps."

Mais comment faire, par exemple pour composer avec la lumière naturelle changeante ? Charlie Vandamme, Chef opérateur de longs métrages et ancien collaborateur d’André Delvaux, raconte que sur deux jours de tournage consacrés à une scène ensoleillée, le changement de position et de teinte de l’astre solaire ne pouvant pas se corriger à l’étalonnage, la solution consistait à installer le décor sous un arbre, dans un endroit où il y avait beaucoup d’arbres espacés les uns des autres. "Nous avons tendu à partir de cet arbre-là un filet de camouflage dans tous les sens, de telle sorte qu’on ne soit pas obligé de déplacer la table pour tourner avec le soleil, ce qui aurait été une grosse bêtise. Il vaut mieux faire avec la nature car elle est plus forte que nous."
 

Pour un autre film, dont l’action se tenait en période de guerre, avec ses black-outs, il lui fallait trouver une manière de traiter la nuit, sans projecteurs. "J’ai imaginé un système de "nuit américaine" qui, grâce au temps gris et pluvieux de la région d’Anvers en hiver, utilisait la lumière du soleil sans que le soleil ne soit effectivement là. A la base, il y a ce que la nature nous offre, et puis il y a forcément des grandes surfaces blanches, des toiles blanches, des feuilles de polystyrène, que l’on éclaire en indirect pour ramener un peu de lumière là où il en faut, et également des filtres gris mobiles, dans certains cas, que l’on bougeait dans le plan pour assombrir les zones qui nous semblaient trop claires. (…) Contrairement à la "nuit américaine" classique tournée avec le soleil à contre-jour, ce qui permet de conserver du contraste, nous avons ici travaillé à donner la sensation que la scène est vraiment tournée la nuit et, puisqu’il n’y a pas de soleil, il n’y a pas de contraste non plus."

Pour faire disparaître le brouillard dans une scène, Yorgos Arvantitis, lui aussi, partage une astuce qu’il a utilisée pour une scène très appréciée :

"On construit une chambre à quatre coins, à l’aide de quatre bâtons, puis on tend entre chaque piquet une toile en plastique transparent. On ferme devant et derrière, on amène un travelling à l’intérieur, on allume la machine à fumée, et on attend que ça se remplisse. Pendant le plan, les enfants jouent et nous ouvrons le plastique devant, pendant qu’à l’opposé de la sortie, on installe deux petits ventilateurs qui poussent la fumée vers la sortie de la chambre…"


Vous l'aurez compris, voilà une mine d’informations pour l’aspirant cinéaste, mais aussi pour le cinéphile pointu.

Chronique par Joachim Regout
Ouvrage publié par Les Impressions Nouvelles

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