Des films en livres, une drôle d'idée ? Pourtant en voilà une qui a produit des oeuvres bien plus diverses et intéressantes qu'on pourrait le croire a priori, permettant tantôt de (re)savourer des dialogues, tantôt de découvrir des textes de films non-réalisés (comme ceux de Jean Renoir), tantôt de comparer les différences entre un script et la façon dont le réalisateur l'a porté à l'écran. A cela s'ajoutent des écrits théoriques (Eisenstein, entretiens Truffaut-Hitchcock, manuels pour apprentis scénaristes, etc.), des novellisations de films ou même des scénarios assumés comme nouvelle manière d'écrire et de lire. Il y avait donc bien matière à passer à la loupe et à confier chaque chapitre à un auteur-chercheur-théoricien différent.
Films à lire est donc un ouvrage collectif, édité par Les Impressions Nouvelles. Comme vous le verrez au travers des extraits ci-dessous, il est représentatif de la diversité présente dans cette littérature en France, à défaut de pouvoir être exhaustif. On regrettera par exemple l'absence de mention des écrits que Guillaume Appolinaire ambitionnait de voir portés à l'écran à l'issue de la Première Guerre mondiale ou les scénarios inédits de Jacques Prévert (réédités chez Folio il y a peu).
"Contrairement à la plupart des manuels d'écriture de scénario, nous ne vous conseillons pas de façon normative d'essayer de faire simple" ou de vous "rapprocher du réel". En revanche, quand vous aurez écrit un dialogue, nous vous suggérons de l'oraliser : le lire à haute voix. Vous verrez très vite ce qui se passe ou non."
(Anne-Roche et Marie-Claude Taranger, autrices de L'Atelier du scénario et citées en référence au chapitre "Manuels de scénario et enjeux stylistiques du dialogue")
"Leur étreinte est si fougueuse que les mains de l'homme restent littéralement collées "au bas des reins de Lila" et que lorsqu'ils se séparent, "Lila pousse un réel cri de douleur, comme si on essayait de lui arracher la peau", la métaphore de l'attraction physique ou de l'aimantation étant ici prise au pied de la lettre pour figurer la violence du désir. Cette dernière se traduit visuellement quand la bonne, Annette, apparemment habituée à ce type de débordement, découpe le vêtement pour que les époux puissent retrouver leur liberté de mouvement.
Après cette opération, il reste une marque de main blanche sur le velours noir de la jupe au niveau de la fesse "comme une main de fatma" et, symétriquement, la main de l'homme est couverte de ce tissu noir.
Ces deux mains, dont l'une est le négatif de l'autre, évoquent immanquablement celle qui figure sur la couverture de Nadja."
(Nadja Cohen, relevant l'influence du surréalisme dans Fidélité, un scénario "pour une réalisation imaginaire" de Jean Ferry, 1953)
"Louis Delluc expliquait déjà en 1919 : " Le livre se venge du théâtre en conservant les variantes et les scènes injouables. Qu'il trahisse pareillement l'oeuvre secrète du cinéma et de ses impitoyables traditions." La publication de scénarios permet donc ici de proposer l'"imagier" idéal voulu par l'auteur (et aussi le critique qui cherche à faire progresser cet art) mais pas toujours exécuté comme tel : l'auteur de scénario doit également composer avec l'industrie du film et ses aléas. Le public pourra "voir aussi en quoi le metteur en scène s'est éloigné de l'auteur, et (...) juger, du résultat et de la conception, lequel avait tort et lequel avait raison. (...) si c'est l'auteur, il aura enfin l'occasion que justice entière lui soit rendue".
Delluc a surtout la conviction que ces textes présentent des qualités esthétiques nouvelles qui ne naitraient pas des indications techniques mais bien du style proposé, à la fois bref, concis, poétique.
(...) "Le lecteur verra suffisamment le déroulement des scènes et leur équilibre. C'est son imagination, aidée de son intelligence, qui lui évoquera les images à la distance voulue dans la proportion voulue, selon le mouvement voulu."
(...) Ce que souhaite Delluc, c'est écrire son scénario en images, ainsi qu'il l'écrit lui-même. Le scénario doit susciter un imagier dans l'esprit du lecteur et c'est certainement cela qu'a permis en retour le cinéma à la littérature. Une nouvelle forme d'écriture, engendrant une nouvelle forme de lecture. Le cinéma a ouvert des possibilités de perception nouvelles." (Mélissa Gignac)
"La société des Auteurs Associés, créée à l'initiative de Marcel Pagnol, (...) semble imiter en partie l'organisation hollywoodienne et son scénario department, qui permet de réunir un groupe de scénaristes travaillant à l'écriture du dialogue filmique. Toutefois, contrairement à Hollywood, le comité ne se constitue pas ici de professionnels de cinéma mais d'écrivains. En effet, Pagnol, qui traduit l'expression américaine par "le rayon des scénarios" y voit une dangereuse industrialisation culturelle. Il fustige également ces prétendus scénaristes "qui n'ont jamais réussi à écrire un roman ni une pièce de théâtre" et se permettent de "dépecer et recuire les oeuvres des autres". Ces comités littéraires apparaissent donc comme un aménagement du modèle américain selon les exigences culturelles françaises." (extrait signé Marion Brun, retraçant le parcours pagnolien pour fonder un genre littéraire inédit, avec ses réussites et ses échecs)