ENTRETIENS : PSYCHOMAGIE


Psychomagie rassemble en un livre les entretiens entre Alexandro Jodorowsky et Javier Esteban, faisant suite au Théâtre de la guérison (fruit de discussions avec Gilles Farcet en 1995) et se veut un compagnon au film (quasi-autohagiographique) Psychomagie, un art qui guérit. A ne pas confondre avec son Manuel de psychomagie, paru en 2009. Son grand âge (90 ans en cette année 2019 !), ainsi que la façon de synthétiser et de préciser sa pensée ne sont-ils pas des éléments qui laissent entrevoir que ce nouvel ouvrage pourrait être le dernier que l'auteur offrira dans le genre ? Avec lui, on ne sait jamais !


Nul ne doute plus de la grande influence qu’a eu, a et aura encore longtemps "Jodo" avec ses meilleurs scénarii de BD (Le Lama Blanc, les mondes SF de L'Incal, Métabarons et autres Technopères, la saga western Bouncer, etc.), ses romans (L’arbre du dieu pendu, L’Enfant du Jeudi noir…), ses essais, ses pièces de théâtre (Opéra Panique, L’école des ventriloques, Trois vieilles, Le Gorille) et ses films (El Topo, La Montagne Sacrée, Santa Sangre…). On le connaît aussi pour ses étranges théories thérapeutiques, à l’aide de son approche originale du Tarot de Marseille, de son système de constellations familiales (rebaptisé "Métagénéalogie" pour se différencier de la méthode de Bert Hellinger) et de ces actes surréalistes - dits “psychomagiques” - qu'il préconise à ses consultants pour les libérer de leurs blocages inconscients.

Par contre, là où certains voient aussi en lui un sage fantasque, d’autres le perçoivent comme un gourou sur son piédestal, parfois colérique, parfois délirant. La vérité se tient sans doute au milieu, comme en témoigne l’ouvrage Psychomagie. En effet, tant que l’intéressé parvient à rester humble, qu’il parle de ce qu’il a expérimenté, développé et maîtrisé (au travers de ses pratiques et de sa créativité), on a droit à des éclairages philosophiques inspirants, des mises en perspective bien vues sur nos (dys)fonctionnements humains, sur les guérisseurs, sur les religions ou encore des conseils stimulants (notamment par des exercices de méditation et de visualisation). 

En revanche, dès que l'artiste et thérapeute est sollicité sur des questions qui dépassent ses domaines de compétences, comme la science ou une façon dont l’humanité pourrait s’en sortir à l’avenir, on fait malheureusement face à des propos totalement insensés - voire irresponsables, vu l’influence morale sur une partie de son audience. D’autant qu’on n’est plus ici dans le cadre d’un dérapage éphémère sur Twitter ou Facebook, comme celui qui estomaqua beaucoup de ses "followers" lors des élections législatives françaises de 2017 (ndlr. : d’un ton solennel, il y avait déclaré divulguer un tirage de tarot crucial pour l’avenir du pays, vantant un Macron soi-disant lumineux, généreux, salvateur, s'opposant à l'ombrageux Mélenchon, envieux, freinant l’Europe et prétendument allié potentiel des Lepenistes). C’est bien dans un livre cette fois - donc un manuscrit qu’il a souhaitablement relu et approuvé - qu’il signe d’autres propos qui le décrédibilisent : se posant en anti-catastrophiste en ces temps d'alertes écologiques, il présente un futur - selon lui probable - où l’humanité sortirait progressivement gagnante, génératrice d’une biodiversité recrée par le clonage de cellules anciennes, créatrice de nouvelles espèces par la manipulation génétique, victorieuse de la force de gravité, constituée d’une population vivant dans des carapaces volantes auto-pensantes, évoluant dans un Eden merveilleux reconstitué pour son bon plaisir. Je vous laisse à votre propre avis sur de telles divagations.

"Tout ce que je sais, je le mets déjà dans mes livres. Aurais-tu d’autres questions ?" me dit un jour le vieil homme pour me mettre à l’aise au début d’une interview. Dommage que ses essais et recueils d’opinions - comme celui-ci - ne fassent pas suffisamment la distinction entre, d'une part, le savoir qu'il retire de ses incroyables expériences de vie ; d’autre part ses croyances et visions péremptoires. Mais si vous êtes prêts à passer outre ses extravagances douteuses, Psychomagie offre à lire, comme je l’ai écrit précédemment, des passages d’une grande justesse et donne à réfléchir. Et n'est-ce pas là l'essentiel ?

Chronique par Joachim Regout

N.B.: la posture en couverture du livre rappelle une célèbre photographie d'Aleister Crowley. A moins qu'il ne s'agisse d'une parodie de cet ésotériste qu'il n'apprécie guère (lire une partie d'interview à ce propos ici), il est plus probable que Jodo adopte cette gestuelle symbolisant le dieu Pan, puisque ce dernier avait inspiré le nom du mouvement artistique "Panique" co-créé avec Topor et Arrabal (voir biographie ici).