En 1997, s'étant basés sur leurs connaissances et sur une superposition
numérique d'innombrables cartes de tarots historiques, l'artiste
Alexandro Jodorowsky et Philippe Camoin Tourrasse - héritier de la fabrique de
Nicolas Conver - lançaient fièrement sur le marché un tarot de Marseille
redessiné, officiellement estampillé "restauration du Tarot Originel"
et qui allait devenir un incontournable "bestseller". En procédant de la
sorte, Jodo "tue le père" Paul Marteau, créateur du "Grimaud", version
lacunaire du Tarot de Marseille mais la plus répandue depuis 1930.
Sans ôter le mérite de l'entreprise de Jodo et Camoin, la présence de
certains détails anachroniques (les étoiles à cinq branches sur le dais
du Chariot semblent inspirés du tarot de Wirth, de 1926), voire inédits
(comme l'oeuf sous le coude de la Papesse, le labyrinthe du Jugement,
la fiole du Monde...) et le remaniement de la symbolique des couleurs
font réaliser que leur œuvre commune relève plutôt d'une correction
personnelle et subjective des premières versions du tarot imprimées à
Marseille (Chosson en 1736, Tourcaty en 1745, Conver en 1760).
Grâce
au recoupement d'informations que permettent aujourd'hui les
différentes collections muséales, les rééditions en fac-similé des jeux,
les ouvrages d'historiens sur le sujet et des sites web spécialisés
(http://trionfi.com, par exemple), on sait toutefois qu'à partir du 18e
siècle, les "maîtres cartiers" de Marseille (comme ailleurs en
Europe) reproduisaient le symbolisme ésotérique de tarots plus anciens
(le tarot de Noblet de 1650, le Viéville de 1648 ou
le Dodal de 1701, ...), en en perdant progressivement l'érudition et en y
apportant des modifications au gré des modes esthétiques.
Notons
aussi au passage, pour ceux que le sujet passionnerait, que si les
origines du tarot restent mystérieuses, il faut écarter les affirmations
farfelues de certains occultistes influents du 19e siècle, qui
prétendaient que son origine remonterait à l'Egypte Antique. L'hypothèse
la plus probable est que l'invention des jeux de "cartes" - sous une
forme embryonnaire - vient de Chine (sous la dynastie Tang ?) ou d'Inde.
Les dasavatara ganjifas sont d'ailleurs parmi les jeux les plus ancestraux encore utilisés. Ces 120 cartes rondes furent inspirées des dix avatars ou
incarnations du dieu Vishnou.
Depuis ces probables origines orientales, il semblerait que les cartes aient été porteuses
d'un microcosme encyclopédique, un alphabet d'emblèmes qui couvre
l'univers. Selon Stuart R. Kaplan (cf. sa Grande Encyclopédie du Tarot,
aux éditions Claude Tchou), une certitude historique est qu'un décret de
la ville de Florence interdit un jeu appelé "naibbe" en 1376. D'autre
part, un moine allemand aurait écrit un traité, en 1377, dans lequel il
fait mention de cartes censées décrire l'état du monde à l'époque, avec -
entre autres - quatre rois porteurs de couleurs distinctes.
Les plus anciennes traces physiques qui aient pu être conservées sont italiennes et datent du 15e siècle : le
prototype noir et blanc dit "de Mantegna", ainsi que des tarots incomplets pour la plupart : ceux de la famille
Visconti-Sforza, celui dit "de Charles VI" (peint par Gringonneur),
le Sola-Busca et le Boiardo. En France, c'est dans le récit Gargantua de Rabelais qu'on retrouve la première référence au nom "tarot" et les
cartes les plus anciennes retrouvées à ce jour sont celles de Catelin
Geofroy (1557).
Pour en revenir à Jodorowsky et
Camoin, si on excepte leur abus de langage quand ils prétendent
divulguer la symbolique originelle authentique, leur tarot s'inscrit
dans la tradition des réalisations marseillaises du 18e siècle et est
admirable à plusieurs égards. Jodo l'accompagne même d'une méthode
d'interprétation et de tirage particulièrement constructive, axée sur
des clés de compréhension psychologique, sur des solutions à des
blocages et sur une certaine quête d'harmonie et de sagesse (cf. La
Voie du Tarot, co-écrit avec Marianne Costa, chez Albin Michel). Avec
l'expérience, l'auteur a aussi jugé utile d'adjoindre un acte dit "psychomagique" à la prise de conscience que permet un tirage, autrement dit
un acte surréaliste bien précis à accomplir pour surmonter une peur ou
dénouer une situation problématique (cf. le recueil d'entretiens Le
théâtre de la guérison).
Alexandro Jodorowsky s'est également spécialisé dans une forme
personnelle de "constellations familiales", plus intuitive et dynamique
que la méthode inventée par Bert Hellinger. Toujours avec l'aide du
Tarot, sa "métagénéalogie" cherche à résoudre les douleurs, manques ou
conflits familiaux larvés qui impactent toutes nos autres relations au
présent. (cf. Métagénéalogie, co-écrit avec M. Costa, toujours chez
Albin Michel)
Philippe
Camoin, de son côté, a développé d'autres théories et méthodes liées à
son tarot, mais qui ne remportent pas l'adhésion de son ancien
associé, comme vous le découvrirez dans un de mes entretiens avec JODO.
Joachim Regout
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