A chaque nouveau volume de sa Trilogie Nikopol (réalisée entre 1980 et 1992), Enki Bilal impressionnait par son évolution, On y découvrait un artiste capable de s’émanciper non seulement de son compère, le grand scénariste Pierre Christin, mais aussi de cette norme technique jusque-là quasi-incontournable en BD qu’était l’encrage (qui accentuait la raideur de son trait). Il signait là une histoire très originale, visuellement déroutante, figurant aujourd’hui parmi les classiques de la science-fiction.
Les deux premiers volumes de sa Tétralogie du Monstre poursuivaient magnifiquement dans cette voie. L’idée de base était convaincante, sa technique en couleur directe finissait de libérer son trait de toute raideur… mais s’emmêlait les pinceaux dans une narration quelque peu hermétique - la ressemblance entre ses protagonistes n’aidant pas. Parmi les bémols attribuables à cette oeuvre-là, mentionnons aussi ses choix de typographies et de mise en page (presque évocatrices d'un fichier powerpoint), altérant la beauté des dessins. Choix qu’il a malheureusement conservés jusqu’à aujourd’hui.
Bug inaugure une suite de 5 albums contant le récit de Obb, un homme au corps taché de bleu, squatté par un alien ayant pris possession de toutes les données numériques mondiales. Dans ce monde paniqué, en perte soudain de ses repères informatisés, il devient un individu traqué de toutes parts, par les magnats du pouvoir (politique, religieux et mafieux), mais aussi par la nécessité de survie d’un humain “augmenté” par exemple. Pendant ce temps-là, d’autres (les néo-marxistes et les survivalistes) perçoivent en Obb l’espoir d’une sortie de crise et d'un potentiel renouveau.
Les deux premiers volumes de sa Tétralogie du Monstre poursuivaient magnifiquement dans cette voie. L’idée de base était convaincante, sa technique en couleur directe finissait de libérer son trait de toute raideur… mais s’emmêlait les pinceaux dans une narration quelque peu hermétique - la ressemblance entre ses protagonistes n’aidant pas. Parmi les bémols attribuables à cette oeuvre-là, mentionnons aussi ses choix de typographies et de mise en page (presque évocatrices d'un fichier powerpoint), altérant la beauté des dessins. Choix qu’il a malheureusement conservés jusqu’à aujourd’hui.
La trilogie Coup de sang démarrait également très bien, avec un Animal’z au récit inspiré (pouvant se lire comme un one-shot) et un dessin puissant, cette fois laissé à l’état de crayonné. Les tomes suivants, Julia et Roem et surtout La couleur de l'air, comme nous en faisions part en nos pages, ne nous avaient pas semblé de la même tenue.
Venons-en à l'actualité :
Comme à la base de chacun des ses projets, Bilal est mû par une réflexion sur les mutations de notre société, ici en l’occurence les nouvelles formes de transmission, notre dépendance au stockage des données et leur perte potentielle.
Cette capacité d'analyse, cette profondeur de fond chez l’auteur restent bien évidemment des éléments très appréciables. Le fait que cette histoire soit déjà prévue d’être adaptée en série TV semble aussi l'avoir stimulé à faire de Bug une intrigue plus claire que ses quelques précédentes. Malheureusement, cela ne suffit pas à en faire une lecture fluide. Bilal semble avoir perdu le sens d’une bonne narration en bande dessinée. En témoignent certains phylactères kilométriques ou des ellipses bancales.
Sur le plan du dessin, une certaine désinvolture est perceptible, au point d'en devenir parfois même inesthétique. Certaines successions de cases donnent une impression de storyboard amélioré/colorisé ; des cases de décor se contentent de présenter des photos rapidement retouchées/décalquées ; ou notons encore plusieurs personnages devenus exsangues tant leurs physionomies sont devenues répétitives depuis deux décennies (sans parler des femmes aux lèvres désormais botoxées).
Sur le plan du dessin, une certaine désinvolture est perceptible, au point d'en devenir parfois même inesthétique. Certaines successions de cases donnent une impression de storyboard amélioré/colorisé ; des cases de décor se contentent de présenter des photos rapidement retouchées/décalquées ; ou notons encore plusieurs personnages devenus exsangues tant leurs physionomies sont devenues répétitives depuis deux décennies (sans parler des femmes aux lèvres désormais botoxées).
Vraiment, il est dommage qu’Enki Bilal semble réserver le meilleur de son talent graphique à ses peintures exclusivement, alors que, de toute évidence, il a encore de quoi dire en BD.
(2 volumes parus aux éditions Casterman)
Chronique collective de la rédaction Asteline