BD : Les cinq conteurs de Bagdad

Auteurs : Vehlmann et Duchazeau
Editeur : Dargaud



Après un très beau galop d’essai dans La nuit de l’Inca, le tandem Duchazeau-Vehlmann atteint ici sa pleine maturité.

Le graphisme sobre, élégant et elliptique de Duchazeau porte le récit mieux que ne l’aurait fait un réalisme plus fouillé. En feuilletant l’album, difficile d’en imaginer le contenu : le dessin de Duchazeau, propre par sa simplicité à stimuler l’imagination du lecteur, ne dévoile pleinement ses charmes qu’à la lecture.

Et le scénario de Vehlmann est une pure merveille. Le conteur aurait pu se contenter de recréer une ambiance Mille-et-une-nuits à l’orientalisme facile, à grands coups de djinns et de génies. Au lieu de quoi il nous entraîne dans une suite bondissante de paraboles aussi ludique que profonde sur l’art du scénario en particulier et de la narration en général. Il y a les Evangiles réécrits dans le désordre. Il y a l’histoire cyclique qu’une tribu d’anthropophage se raconte sans fin de génération en génération. Il y a l’histoire dangereuse qu’il vaut mieux ne jamais raconter. Il y a cette merveilleuse réponse du scénariste "hollywoodien" au narrateurs "artistes" : "Allez vous faire foutre ! Continuez à me mépriser, moi et mon public de merde ! Ces gens qui ont le mauvais goût de ne chercher qu’un peu de rêve et de soleil après une foutue journée de travail ! Mais quand à force de raconter des histoires que nul ne comprend, vous vous retrouverez entre vous, tellement entre vous que vous serez tous seuls, alors revenez m’expliquer comment vous changerez le monde". Il y a ce passage où Vehlmann exprime probablement son propre dilemme : raconter des histoires subtiles et sublimes qui ne seront comprises que par une minorité, ou donner dans la démonstration de virtuosité pour éblouir les foules ? (N’a-t-il pas choisi d’alterner les deux solutions ?)

Bref, Les cinq conteurs de Bagdad feront les délices d’un public exigeant. Un public qui, comme dans le cas du Chat du Rabbin de Sfar, avec une bonne promotion et le bouche-à-oreille, pourrait largement dépasser celui des bédéphiles.


Chronique par Geoffroy d'Ursel
 
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