La
conquête de l’Amérique par Cortés et ses successeurs peut être vue comme
une épopée de légende… ou comme l’un des plus grands pillages de
l’histoire, doublé du plus gigantesque génocide jamais commis. En
un peu plus d’un siècle, la population du Mexique sera réduite de 90%
(de 25 millions à 1,5 million), et celle du Pérou de 95%. Comme
l’écrivait le dominicain Bartolomé de Las Casas, défenseur des indiens,
"Qui parmi les générations futures croira cela ? Moi-même, qui écris ces
lignes, qui ai vu de mes yeux et qui n’en ignore rien, je peux
difficilement croire qu’une telle chose ait été possible".
Frantz
Duchazeau, qui a déjà abordé les sociétés précolombiennes dans La nuit
de l’Inca (scénario de Vehlmann), se penche en solo sur l’avancée de
Cortés en pays inca. L'auteur ne se donne aucune des facilités
généralement utilisées dans ce genre de récit dénonciateur. Il
n’idéalise pas les victimes, et ne nous cache pas que la société inca,
cruelle, guerrière et totalitaire, n’est pas particulièrement
sympathique (ce qui n’enlève rien à l’horreur des massacres). De plus,
la lâcheté de l’Inca est une cause directe de ce qui suivra.
Il
ne nous donne pas non plus un point de vue occidental sur les
événements. Cette pratique scénaristique, qui rend le récit plus digeste, en facilitant l’identification du public, est couramment utilisée, tant
au cinéma (Soldier blue, Danse avec les loups, dans une moindre mesure
Little big man de Arthur Penn – attention chef d’œuvre…) qu’en bande
dessinée (Les conquérants du Mexique, de Jean-Luc Vernal et Jean Torton,
1981).
Apoo, messager royal qui parcourt les routes de l’empire
inca pour transmettre des messages, assiste aux premières loges à la
mort de sa culture, de son peuple. Autant dire que Les vaincus est un
livre âpre, amer, déprimant. Il est toujours plus plaisant de
s’identifier aux vainqueurs qu’aux vaincus (Et encore ! D’après
Wellington, "rien n’est plus mélancolique qu’une victoire, si ce n’est
une défaite"). Mais quelle puissance ! Le noir et blanc donne
plus de force encore au graphisme expressionniste de Duchazeau, qu’on
avait pu goûter en couleurs dans Gilgamesh et Les cinq conteurs de Bagdad.
Un grand bouquin noir dans lequel, s’il y avait eu de la
couleur, le rouge sang aurait dominé.
Chronique par Geoffroy d'Ursel
Découvrez toutes nos chroniques
à propos de BD signées Duchazeau :