Si vous avez consulté notre dossier consacré à Edmond Baudoin ou nos chroniques consacrées aux bandes dessinées d’Emmanuel Lepage (Muchacho, Oh les filles, Un printemps à Tchernobyl, Ar-Men), vous vous doutez combien la surprenante annonce d’un épais "roman graphique" réalisé à quatre mains par ces deux-là a pu nous enthousiasmer. En revanche, les habitués de la narration de Baudoin savent qu’il arrive que certains de ses ouvrages soient foutraques et fastidieux à suivre. Eh bien, on vous l’annonce d’emblée : malgré l’alternance avec le style plus photographique et polissé de Lepage, la présence de la couleur et de nombreuses cases et pages de toute beauté, la lecture d’Au pied des étoiles n’a pas été aisée.
Voici donc un énième voyage lointain, où ils ont été invités en 2021, qui sert de prétexte à la création d’un journal à deux voix, en roue libre. Il y a un peu de tout, dans le désordre. Un peu de didactisme sur l’Histoire du pays en question, le Chili, et la pertinence des luttes de gauche ; un chouïa de vulgarisation scientifique (étoiles, lumière, origines de la vie…) ; des rendez-vous locaux - sources de témoignages mais parfois aussi de présentations anecdotiques et inutiles - ; des évocations du cancer et de la résilience de Lepage ; des réflexions sur l’art (où Baudoin a déjà été plus éloquent ailleurs.) ; avec un détour par la (bi)sexualité, thème alimenté par les réminiscences d’amours passées ou encore une discussion avec un jeune transgenre.
Il y a multitude de sujets donc, comme une vocation à traiter d’Humanité de manière universelle et dans l’improvisation. Une improvisation réagencée pour en faire un livre, mais où rien ne semble avoir été coupé… ce qui, à la longue, provoque souvent l’ennui et n’offre pas, malgré de beaux passages, l’impression d’une réelle vision vivifiante.
Il y a multitude de sujets donc, comme une vocation à traiter d’Humanité de manière universelle et dans l’improvisation. Une improvisation réagencée pour en faire un livre, mais où rien ne semble avoir été coupé… ce qui, à la longue, provoque souvent l’ennui et n’offre pas, malgré de beaux passages, l’impression d’une réelle vision vivifiante.
En somme, les auteurs ont fait un périple et des rencontres qui leur ont paru formidables, dont ils tirent un album souvenir, en incluant dans les pages des discussions et pensées sur la vie qu’ils ont eues à ce moment-là. Et ça fait un gros bouquin, foisonnant, parfois assommant et d’un certain prix… que liront donc beaucoup de bobos, qui prennent probablement aussi beaucoup l'avion tout en partageant la "nécessité d'espoir" de Lepage sur le sujet environnemental. Histoire de ne pas nier une grosse dissonance cognitive avec sa conscience écologique, Baudoin aborde et questionne sa propension à continuer de voyager souvent et par voie aérienne, malgré la menace majeure que constitue aujourd'hui l'usage de ce moyen de transport sur le Vivant.
A l’affût de nouvelles thématiques, Edmond Baudoin s’est en effet beaucoup exilé, n’hésitant pas à se montrer solidaire des causes révolutionnaires internationales… mais au prix de telles contradictions et paradoxes. Sa force - selon moi - c’est quand il parle d’ici, de l’enfance (Piero, …), de la mémoire (Couma Aco, Eloge de la poussière…), de témoignages d’immigrés (Humains La Roya est un fleuve), de lieux en France qu’il connaît bien (Salade niçoise, Le chemin de Saint-Jean), d’amour et d’art (Le portrait, L’Arleri, Dali), de la musique du dessin, de la danse… Toutes ces choses qui méritent qu’on lutte pour elles.
Quant à Lepage, il a ses raisons, qu’il explique dans Au pied des étoiles, de saisir d’urgence les opportunités et de faire des livres qui s’éloignent de la fiction..