ROMANS : Blackwater - tomes I à VI

S
ans attendre, disons-le de suite, Blackwater est un immense plaisir de lecteur, capable de réconcilier celui qui a des hautes exigences  littéraires et celui qui préconise la trame de l'histoire, le lecteur compulsif et le lecteur occasionnel de vacances !

D'avril à juin 2022, les six volumes sont apparus dans nos librairies et attiraient déjà les regards. Ce sont, comme on dit, de beaux objets. Monsieur Toussaint Louverture est une maison d'édition qui, non contente de dénicher des talents oubliés ou méconnus - on se souvient avec émotion du Karoo de Steve Tesich -  , prend aussi un grand soin dans la qualité de l'édition. Les couvertures ont ici toutes été dessinées par Pedro Oyarbide, sont passées sous l'encre d'une presse offset, dorées à chaud avec un coloris noir, puis une dorure champagne, puis enfin embossées ! Les reflets captent la lumière, poussent nos petites mains à s'emparer de la chose. Esthétiquement, nous ne sommes pas loin de l'art nouveau, certains y voient un rapprochement avec le tarot.

"Et donc de quoi ça parle ?" demandes-tu, lecteur pressé !  Le point de départ est l'inondation en 1919 de Perdido, village du sud de l'Alabama, dont l'économie repose principalement sur le commerce du bois de ses riches scieries. Située au confluent de la Perdido et de la Blackwater, la cité est entièrement recouverte de leurs eaux boueuses et rougeâtres. Oscar, fils de la riche famille Caskey, accompagné de Bray, employé noir et fidèle, déambulent en barque entre ce qui surnage des bâtiments. Ils sont stupéfiés de découvrir la mystérieuse et séduisante Elinor Dammert, réfugiée d'après elle depuis plusieurs jours au premier étage de l'hôtel Osceola. La jeune femme ne tarde pas à se faire une place chez les Caskey, notamment auprès d'Oscar, ce qui n'est pas du tout au goût de Mary-Love, sa mère, qui règne sans partage sur la tribu. La guerre est vite déclarée entre-elles.

 

Michael McDowell (1950-1999) a écrit Blackwater au début des années '80 et l'on s'étonne que ce chef-d'œuvre cultissime aux USA soit resté inédit chez nous jusqu'aujourd'hui. Pensez que Stephen King lui-même voue une admiration pour McDowell et s'en est même inspiré pour La Ligne Verte ! L'écriture est alerte, limpide, très "visuelle". Les six épisodes de cette série s'enchainent sans que l'on éprouve la moindre lassitude, nous précipitant immédiatement dans la lecture du suivant.

Il faut dire que Blackwater, outre ses qualités littéraires, cumule de sérieux ingrédients scotchant son lectorat : une pointe de surnaturel – Elinor a des pouvoirs très particuliers - qui vire parfois à l'horreur ; cinq décennies épiques en compagnie des Caskey ; la petite histoire au travers de la grande - les guerres, les difficultés économiques du pays, le racisme latent ou affiché - ; des personnages attachants ou irritants... Et surtout quelles femmes ! Rares sont les livres, a fortiori de cette époque-là, qui donnent autant la place à ses femmes. Mary-Love, Elinor et leurs descendantes prennent le pouvoir, cherchent à minima à s'émanciper des hommes qui les entourent. Elles ont néanmoins une fâcheuse tendance à s'approprier les enfants des autres...

Nous n'en dirons pas plus pour ne rien déflorer... mais attention, addiction garantie !
 

Chronique par Reynald Riclet

Blackwater, tomes I à VI, par Michael McDowell,
parus aux éditions Monsieur Toussaint Louverture