Simon est un petit anglais de 14 ans, grassouillet, malmené par les autres gamins du quartier. Pour tenter de se faire accepter d'eux, il va tâcher de trouver de l'argent. Il fait les commissions pour une voyante, qui, à défaut de pouvoir lui offrir un salaire, lui révèle le résultat du quinté de la Royal Ascot. Il mise les économies de son père et gagne 16 millions de £ ! Pour recevoir cette somme colossale, un adulte est bien entendu nécessaire, mais le destin a ses revers : sa mère tombe dans le coma au même moment et son père disparait. Simon se retrouve alors embarqué dans un polar aussi tragique que comique.
Parue en 2020 en allemand sous le titre Die Farbe der Dinge (chez Édition Moderne), La couleur des choses est éditée depuis 2022 en français et a obtenu le Fauve d'or, prix du meilleur album au festival d'Angoulème 2023. Qu'a-t-il donc de si spécial pour être ainsi consacré ? Le suisse Martin Panchaud a choisi une technique et des codes très particuliers : les scènes sont représentées du dessus, comme sur un plan ou une carte, sans relief et les personnages sont des cercles de couleur. La mise en page innove aussi, avec des cases souvent placées en bande centrale, laissant de part est d'autres des zones blanches pour y placer les dialogues. De temps à autre, certains inserts explicatifs adoptent une représentation de profil.
On peut donc qualifier cette BD d'expérimentale et son graphisme sobre aux couleurs assez douces, produites par infographie vectorielle, nous évoque une version minimaliste du travail de Chris Ware, cet autre chercheur de forme génial. Certains verront des influences du côté des albums de Warja Lavater, des livres-jeux d'Hervé Tullet et même dans les contes revus en pictogrammes par Sonia Caine et Adrien Pichelin.
Panchaud raconte que le premier acte a été
d'écrire le
scénario, puis d'en trouver ensuite pour chaque situation la
meilleure
représentation possible. Son but étant que la lecture soit la
plus fluide et la
compréhension la plus immédiate, c'est mission totalement
réussie ! A l'instar
des jeux vidéo dont l'univers de cette BD peut faire penser, les
premières
pages fonctionnent comme un petit tutoriel qui fixent les règles
de lecture.
Ensuite, c'est parti : notre esprit est happé et s'amuse de sa
capacité à faire
travailler son imagination.
La narration est parsemée de flèches, de notes, les planches fourmillent d'idées ingénieuses qui conduisent ce parcours surprenant. Parfois, elle s'interrompt pour des interludes explicatifs : la migration des baleines, le fonctionnement d'un taser, l'endroit où frapper pour bien faire souffrir. Si l'intrigue à rebondissements, qui ne déparerait pas dans les films des frères Cohen, incorpore des éléments d'actualité, l'irrévérence, la jeunesse désabusée, désenchantée et l'humour trash nous ramènent aussi à South Park. Mais c'est aussi une histoire touchante, celle d'un ado qui se cherche, avec en arrière-plan la violence sociale et celle faite aux femmes. Le miracle est que Panchaud parvient à créer du sensible avec un tel dispositif graphique.
Le livre refermé, on reste ébahi par le moment qu'on vient de vivre. Une nouvelle forme, une nouvelle représentation de la BD vient d'être inventée. Et l'aspect gadget que l'on pouvait appréhender et redouter a disparu totalement. L'auteur a eu un mal fou à faire accepter son projet à toutes les étapes. Heureusement, il est parvenu au bout, et c'est un livre qui fera date !
Chronique par Reynald Riclet
Le roman graphique La couleur des choses est paru aux éditions ça
et là.
P.S. : parallèlement à cet ouvrage, commencé en 2012, Martin Panchaud a produit une première bande dessinée géante en 2016, résumant La Guerre des étoiles : une image de 123 mètres de long dans un scroll infini, qui a connu un succès international auprès des amoureux de la saga. https://swanh.net/ (swanh = Star Wars, A New Hope).