ROMAN : Sunset Park

Auteur : Paul Auster
Editeur : Actes Sud



Paul Auster avait déjà changé un peu son approche du récit avec Invisible, multipliant les genres narratifs, où il gardait néanmoins comme point d’accroche le hasard d’une rencontre qui devait bouleverser toute une vie – même plusieurs. 

Avec Sunset Park, ce qu’il multiplie, c’est avant tout l’orientation du regard, offrant à notre lecture plusieurs personnages dont les points communs sont surtout la maison abandonnée de Sunset Park, à Brooklyn, et Miles Heller, le héros de notre histoire ou, en tout cas, son fil conducteur. 

Miles s’est exilé depuis des années de New York, fuyant sa famille et un sentiment de culpabilité lié à la mort de son demi-frère. Il vit une passion amoureuse avec Pilar, mineure et orpheline. Leur relation est mise en péril par la cupidité de la sœur de Pilar et, menacé, Miles doit se résoudre à quitter leur nid de Floride pendant plusieurs mois. Il en profite pour tenter de renouer avec son passé, regarder ses démons en face, et rentre à New York. C’est là qu’il retrouve son ami Bing Nathan, seule personne avec qui il gardait encore contact, qui lui propose de loger dans son squat, à Sunset Park. Squat qu’il partage avec deux femmes, Ellen Brice, agent immobilier et peintre, et Alice Bergstrom, étudiante travaillant sur une thèse à propos d’un film d’après-guerre. Les autres visages de ce roman sont aussi Morris Heller, le père de Miles, éditeur indépendant, sa mère, Mary-Lee Swann, une actrice, et, enfin, les conjoints de l’un et l’autre. 

Double génération, maux de ce début de siècle : récession économique, perte de repères, évolution fragilisée du monde du livre, faiblesses des familles recomposées, culpabilité. Fondamentalement, le thème de ce livre, quoique pas des plus innovants, est intéressant et pertinent. Auster se veut sans doute, dans ce roman, le reflet d’une époque. En observateur distant, il offre un terrain d’expression à des personnages en quête d’identité, mais sans jamais aller trop loin.

C’est d’ailleurs mon regret principal quant à ce roman prometteur : un manque de jusqu’au-boutisme. On s’éparpille entre des individus qu’on n’a pas vraiment le temps de connaître à fond (et qui semblent parfois être avant tout un prétexte permettant à l’auteur de transmettre ses propres opinions sur la société, ce dont on ne devrait pas s’apercevoir) et la structure du livre ne les rend pas proches du lecteur, donnant à l’ellipse le ton du raccourci plutôt que celui d’un allègement judicieux de l’histoire. Alors que cette dernière débute sur une facette intéressante de la personnalité de Miles (son goût obsessionnel pour la photo d’objets abandonnés par les familles ruinées par les subprimes et dont il doit « vider » le domicile), on a la sensation que cette personnalité s’éloigne, se lisse au fil du livre, alors qu’on s’imaginait face à un caractère marquant et marqué. Tous les protagonistes de Sunset Park sont intrigants, mais il m’aurait plu, vraiment, de sentir plus qu’une impression d’ébauche à leur égard. Etaient-ils trop nombreux ? La place qui leur était donnée mal répartie ? 

Ce qui m’a toujours plu, chez Auster, c’est cette capacité à créer des personnages mémorables vivant des situations denses, malmenés par le hasard mais laissant derrière eux un sentiment de fascination. Sunset Park a pour moi les ingrédients d’un très bon Auster et est écrit dans un style sobre mais accrocheur. Comme toujours, on lit avec plaisir et impatience. Pourtant, reste au final un goût de trop peu et une ombre de tristesse. L’espoir ne faisant pas partie des héros de Sunset Park… 

Chronique par Virginie


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