ENTRETIEN AVEC BARU - partie 4

Et Les Années Spoutnik, c’est ton enfance ?
C’est le même principe que pour Quéquette Blues : je ne parle pas de moi, je parle de nous. Mais je suis dans nous. Je suis parti de briques personnelles, auxquelles j’ai rajouté des anecdotes et des inventions de manière à construire un récit qui fasse sens sur la durée. Mais on n’a jamais tiré des flèches sur des flics. Mais on vivait dans ce genre d’habitations, avec ce genre de mentalité : "ton gosse n’est pas chez toi parce qu’il vient manger la polenta chez nous". Toute cette vie des cités qui était constitutive de la culture ouvrière : l’amitié, les filles, le foot, les bagarres. Tout le monde me dit que c’est La Guerre des Boutons. Je n’ai pas voulu en faire un remake en milieu industriel. Par contre, ce qui me frappe, c’est que La Guerre des Boutons a été écrit peu après la Première Guerre mondiale, mais est devenu un best-seller après la Seconde Guerre mondiale, plus de 50 ans après. Au début, c’était un hymne à la culture rurale. Le succès est venu dès lors que la France a basculé dans une culture urbaine, c’est-à-dire avec la nostalgie. De la même manière, pour moi, Les Années Spoutnik est un chant pour une culture défunte. C’est l’écroulement des trois empires : l’empire industriel, l’empire colonial et l’empire soviétique, pour lequel la course à l’espace était le début de la fin, même si on ne le savait pas encore.

Comptes-tu extrapoler des sujets aussi vastes que ceux-là ?
Non, ce que je dis là est de l’ordre de la généralité savante. Ce sont les outils qui me permettent d’analyser. De là à en faire des histoires…

As-tu parlé indirectement de la Guerre d’Algérie dans Le Chemin de l’Amérique ? Quels ont été tes rapports avec cette guerre ?
Quand elle s’est terminée en 61, j’avais 14 ans. A l’époque, mes potes étaient Arabes. Il est évident qu’à cette époque-là j’étais pour le FLN.

Bonne Année, c’est ta vision du futur ?
Disons que c’était crédible ? Disons que j’ai pris la logique frontiste et que je l’ai poussée jusqu’au bout. C’est un exorcisme : exprimer une crainte pour qu’elle n’arrive pas.

Tu parles souvent de ta rage contre l’extrême droite…
C’est inacceptable. C’est une pourriture de l’esprit, la négation de l’humanité, l’anti-humanisme. Je suis pour l’interdiction, et pour faire honte aux frontistes.

Pourtant le communisme aussi est anti-démocrate…
Je suis démocrate, mais pas acharné. S’il fallait lutter contre Hitler, je ne serais plus démocrate. Je suis pour une certaine radicalisation de la pensée. Un communisme moral plus que programmatique. Je préfère un austère coincé à une crapule chaleureuse.

Tu préfères Robespierre à Danton ?
Ils ont coupé des têtes tous les deux.

Un plus que l’autre quand même !
A partir d’une tête, de toute façon le mal est fait, alors… Mais bon, provoc mise à part…

Tu aurais travaillé pour Pif Gadget, à l’époque ?
Ah oui, sans hésiter ! Pour moi, Pif, c’était le communisme comme on le vivait. J’étais aussi communiste pour ça, pour Yves Le Loup, pour Ragnar le Viking.

Quelles ont été tes influences ?
La plus grande, c’est Muñoz. Si Quéquette Blues n’est pas un décalque, c’est seulement parce que je n’en étais pas capable. J’ai fait Quéquette Blues comme ça parce que j’étais tombé dans Alack Sinner (ndlr.: de Muñoz et Sampayo, chez Casterman).

Tu t’en es largement émancipé…
C’est le propre de toutes les influences réussies. Les débuts de Giraud, c’était du Jijé pur et simple.

Encore une question : un de tes personnages les plus marquants, c’est Anna, la compagne du protagoniste de L’Enragé. Tu t’es inspiré de quelqu’une ?
Non, non, elle est inventée. Quoique ce caractère de tête de pioche… c’est un peu ma femme.

Ca, c’est une déclaration d’amour, ou je ne m’y connais pas.


Lisez aussi nos CHRONIQUES 
à propos des BD suivantes de Baru :