BD : Sang neuf

D
ans mon parcours professionnel, j’ai été amené à côtoyer pas mal d’auteurs de bandes dessinées, de nouveaux talents ainsi que des "maîtres" pour le dessinateur que je suis aussi. Plusieurs de mes entretiens avec ces derniers ont été publiés (notamment ici). Fréquemment, ces rencontres ont été pour moi à la hauteur de mon admiration pour leur travail. Même si j’en ai eu l’opportunité, je n'ai par contre pas voulu contacter tous les artistes vivants derrière les œuvres qui m’ont fasciné. Ça m’a permis de conserver un regard "frais" et passionné en lisant ou relisant un ensemble de livres sans l’évocation du souvenir - agréable ou non - de leurs créateurs.



Parmi ces personnes que je n’ai jamais vues, il y a Jean-Christophe Chauzy, dont je suis pourtant assidûment l’abondante bibliographie depuis très longtemps (et même depuis ses illustrations dans des magazines rock). En guise de respirations entre ses albums plus "réalistes", aux thèmes plus graves, il s’est créé un alter ego de papier auquel je me suis même attaché (cf. les albums plus humoristiques que sont Parano, Béton armé, L’âge ingrat, Petite Nature…).



L’
annonce de la parution de ce Sang neuf, m’a fait un choc, puisqu’il s’agit du journal a posteriori de sa chimiothérapie, vécue en pleine pandémie de covid… Il est peu probable que je me sois procuré un tel pavé de 256 pages sur un thème aussi peu engageant s'il n’avait pas été signé par cet auteur qui m’est devenu familier sans l’avoir jamais rencontré.



C
elui qui avait l’habitude de se tourner en autodérision devient ici soudainement le personnage humain réaliste dans toute sa vulnérabilité. On savait Chauzy virtuose, mais la force de sa narration et de son graphisme bouleversent particulièrement dans ce récit si personnel, tant ses images tour à tour réalistes, métaphoriques ou expressionnistes traduisent bien ses angoisses, sa solitude dans ce combat, ses sensations physiques, ses espoirs et désespoirs, sa gratitude pour ses proches et le personnel soignant, et le goût de vivre retrouvé. Même le choix des couleurs n’est pas anodin : le lavis noir et blanc, omniprésent pour exprimer cette traversée ô combien difficile et triste, permet de contraster avec les séquences rougeâtres de ce qui se passe à l’intérieur du corps. D’occasionnelles autres touches de couleur portent quant à elles les notions d’espoir et de joie. 



S
ans qu’il s’agisse forcément de myélofibrose ou autre cancer, toute personne ayant traversé des problèmes de santé sérieux, des séjours en hôpital ou ayant accompagné des proches dans ces épreuves, ne pourra qu’être remuée par la justesse de ton de ce livre. 

C’est décidément la marque d’un grand de parvenir à faire d’un sujet aussi éprouvant une lecture dont on sort secoués mais aussi émerveillés.


D’ores et déjà un de mes coups de cœur de l’année 2024.

Chronique par Joachim Regout
Sang neuf est paru chez Casterman

Autres chroniques à propos
d'albums de Jean-Christophe Chauzy :
- Par la forêt

- Le reste du  monde
- Revanche
- Petite nature