Jean-Patrick Boulard, l'anti-héros que nous suivons, est un peu le symbole de la médiocrité faite homme, bête mais pas si méchant, un peu beauf, jamais remis en question, qui ne voit pas sa propre domination. Il est concessionnaire et vend de gros SUV, aime le barbecue, le saucisson, les ambiances de mecs et de salle de muscu. Son père lui a appris qu'en toute circonstance il faut "sortir la boite à couille" pour réussir. Mais "Jean-Pat" est une des premières victimes du Rubula 12. Dans un premier temps, il trouve du réconfort auprès de Jo, le patron du club de sport et de sa bande de masculinistes fanatiques, mais rapidement des questions existentielles le taraudent. Jean-Pat change...
Derrière des personnages dont le comportement vire à l'outrance, leur portrait sociologique est finement brossé et leurs nuances apparaissent en chemin, que ce soit pour les activistes féministes, l'ado en recherche d'identité, ou les mâles à gros biscotos.
Luz semble condenser l'après #metoo, le covid et son confinement, les gilets jaunes et les dernières luttes sociales, le tout avec une pincée de complotisme. Il s'attaque à la virilité et aux dégâts qu'elle cause dans la société. Il pousse Jean-Pat à se confronter à la réalité de la domination masculine, qui s'exerce également sur les hommes, les corsète dans des attitudes très normées. Dans Testosterror, le virus fait baisser cette pression, rend l'esprit plus libre, à l'écoute des autres.
Les planches regorgent de détails drôles, un peu comme chez Gotlib autrefois. En bas d'une page, La une de Charlie Hebdo montre un politicien à tête de sexe qui répond à la question "Allons-nous manquer de testicules ?" par "Promis on ne manquera pas de glands !". Une pancarte dit "PPDA on te croit" ... et la mise en page est foisonnante. Le tout renforce l'effet "d'angoisse du déclassement viril" (ADV) qui saisit les personnages, la violence qui monte sous la crainte des hommes d'être « grand remplacés par les femmes ».
Selon ses propres paroles, Luz a voulu
montrer que
les hommes eux-mêmes avaient tout à gagner en sortant des schémas
et de l'éducation
masculinistes.
Des outils ont été mis au point pour chiffrer ce que coûte à la société un mort, un blessé grave, un blessé léger etc... Lucile Peytavin a compilé les données et en tire le montant ahurissant de 100 milliards d'euros par an en France ! Et encore certaines infractions ne sont pas bien quantifiées ou sans conséquences pénales, donc ce chiffre est sous-estimé et ne tient pas compte des nuisances morales et psychiques qui elles aussi ont un cout. A titre de comparaison, la lutte contre la grande pauvreté c'est 7 milliards, la santé c'est 50 milliards, le déficit des hôpitaux 30 milliards.
Ces deux livres mis bout à bout, l'un une dystopie rigolarde, l'autre une étude sérieuse, démontrent que sans cette virilité envahissante, notre société serait plus apaisée, moins violente, nécessiterait moins de police, et nous aurions moins peur dans la rue, moins peur d'y laisser nos enfants, des sommes colossales pourraient être mieux utilisées.
Outre l'éducation déjà citée, Lucile Peytavin voit un rôle primordial de l'Etat, par des campagnes de sensibilisation, un relai de l'école et de tout le secteur artistique et culturel, une déclinaison dans toutes les strates de la société. Ça changerait d'un président de la République qui crache au visage des femmes maltraitées en prenant fait et cause pour un Gérard Depardieu.