(Cliquez ici pour revenir au début de cet entretien entre Hermann, Yves H. et Joachim Regout, en 2000 ou ici pour consulter le dossier Hermann.)
Avertissement pour ceux qui n'auraient pas encore lu cette bande dessinée : cette partie d'interview comporte des "spoilers" !
Avertissement pour ceux qui n'auraient pas encore lu cette bande dessinée : cette partie d'interview comporte des "spoilers" !
Pour revenir à son évolution, il m’a fait part de sa volonté de se libérer d’un certain créneau classique. L’imagineriez-vous se lâcher, comme Rabaté l'a fait avec Ibicus par exemple ?
Yves H. : Non, mon père restera toujours dans le réalisme. Je pense que Rabaté, et d’autres dessinateurs, sont peut-être davantage des peintres que des dessinateurs de BD. Ils ont envie de réaliser un réel travail sur la matière, sur les ombres, etc. Ils sont très ambitieux techniquement et visuellement, en oubliant peut-être que la BD reste quand même un média populaire. Je trouve leur travail quelque part très louable, je les considère comme de très grands dessinateurs, je ne me permettrais pas de les critiquer... Il y a des bouquins que je trouve très beaux : ce que Breccia faisait, les travaux de Prado... mais le côté hyper-élitiste, je m’en méfie, je trouve ça un peu prétentieux, tout de même. Je pense que mon père restera dans la bande dessinée classique. Il y a une différence similaire au cinéma entre le cinéma d’art et d’essai et Terry Gilliam ou les frères Cohen qui aiment aller au-delà du modèle hollywoodien hyper-classique, tout en restant accessibles au public. Mon père va essayer de découvrir de nouveaux territoires inconnus, mais toujours dans le cadre d’une bande dessinée classique. Je crois qu’il a tout de même envie que le public continue à le suivre... Je pense que les plus grandes œuvres, en général, sont aussi des œuvres populaires... On peut marier la grande qualité et le populaire. Plus on s’éloigne des voies classiques, moins le public suit, en général.
L'irruption occasionnelle d'auteurs qui viennent offrir un contrepied, c'est pourtant nécessaire pour faire évoluer leur art. En tant que scénariste, écrire des histoires pour des dessinateurs au style nouveau, exacerbé, ça ne vous tenterait pas ?
Yves H. : Exacerbé dans le scénario, oui, mais dans le dessin, je crois continuer à écrire pour du dessin réaliste pur et dur. Je ne vais pas m’aventurer dans quelque chose d’uniquement artistique, une sorte de fresque, quelque chose aux allures invraisemblables... Pour moi, et je parle uniquement de ma sensibilité, je trouve qu’il est plus efficace de faire passer l'originalité par un trait réaliste. S'il est clair que les références sont classiques dans Liens de sang, sa structure ne l'est pas. J’aime bien Jean Van Hamme, c’est du solide mais c’est vraiment le scénariste de la BD classique. Après Lune de guerre, j'ai amené mon père sur un terrain plus aventureux et cinématographique.
Malgré que Liens de sang m’ait beaucoup plu, j’aimerais relever un bémol : New York, le patricide... ce sont des clichés vus et revus, tout de même.
Yves H. : Ah oui, oui, oui ! Je le revendique : je suis parti sur base de clichés ! Avec mon père, j’ai envie de faire une trilogie sur les Etats-Unis, avec ma vision personnelle de quelqu’un qui n’y est jamais allé et de jouer avec ces clichés. Je n’ai pas envie d’y aller avant la fin de cette trilogie, parce que je ne veux pas torpiller les clichés que j’ai dans la tête. Je crois finalement que c’est ce qu’il y a de plus excitant, pour moi, que de jouer avec les clichés. Bien sûr, il faut aussi se documenter, trouver des photos sur des petites choses, des petits détails de la vie quotidienne. Ce n'est pas évident quand ça ne se trouve pas dans les livres ou des sites Internet. Là, j’ai trouvé des plaques de voitures de l’Arizona... C’est tout bête, mais c’est un document important si vous n’êtes jamais allé aux Etats-Unis et que vous réalisez une BD autour de ça. Bien sûr, il y a les films, mais ce n’est pas suffisant : parfois vous avez besoin de savoir à quoi ressemble l’intérieur de telle voiture des années cinquante.
Liens de sang ne serait donc pas un one-shot ?
Yves H. : Ah oui, oui, oui ! Je le revendique : je suis parti sur base de clichés ! Avec mon père, j’ai envie de faire une trilogie sur les Etats-Unis, avec ma vision personnelle de quelqu’un qui n’y est jamais allé et de jouer avec ces clichés. Je n’ai pas envie d’y aller avant la fin de cette trilogie, parce que je ne veux pas torpiller les clichés que j’ai dans la tête. Je crois finalement que c’est ce qu’il y a de plus excitant, pour moi, que de jouer avec les clichés. Bien sûr, il faut aussi se documenter, trouver des photos sur des petites choses, des petits détails de la vie quotidienne. Ce n'est pas évident quand ça ne se trouve pas dans les livres ou des sites Internet. Là, j’ai trouvé des plaques de voitures de l’Arizona... C’est tout bête, mais c’est un document important si vous n’êtes jamais allé aux Etats-Unis et que vous réalisez une BD autour de ça. Bien sûr, il y a les films, mais ce n’est pas suffisant : parfois vous avez besoin de savoir à quoi ressemble l’intérieur de telle voiture des années cinquante.
Liens de sang ne serait donc pas un one-shot ?
Yves H. : Si, il s'agira au final de trois "one-shots" liés entre eux par la thématique du rêve américain. La suite sera très différente, malgré certaines similitudes. Le
propos est peut-être moins délirant, le
dénouement moins "percutant", mais je pense que c’est réussi. Il y aura encore une histoire d’un père et son fils. Là, contrairement à Liens de sang, je ne l’ai pas cherché, c’est le scénario qui me l’a imposé.
Je me fais l’avocat du diable : j'ai l'impression que les dessinateurs européens ont de plus en plus la manie de faire dérouler leurs récits sur le continent américain en ce moment. Est-ce que les clichés américains et l’usage banalisé des armes à feu ne sont pas en train de devenir des facilités scénaristiques ?
Yves H. : Je reste tout à fait réaliste par rapport à la situation américaine que je n’envie pas du tout, je n'aimerais pas y vivre. Si c’est vraiment le pays qui m’inspire au niveau du scénario, c’est parce que c'est le pays le plus puissant du monde, qu'il possède donc également inévitablement en lui tous les fantasmes du monde ; c’est le pays du tout est possible, de l’excessif. En Europe, on rationalise tout.
Le défi scénaristique ne serait-il pas de parvenir à quelque chose d’autant plus passionnant qu’il se passe dans nos contrées ?
Yves H. : Non, parce que, même en Europe, l’inconscient collectif est tourné vers les clichés américains. Quand on pense à l’Europe aujourd’hui, on pense à de jolis petits villages, des villes sympa où il fait bon vivre... Oui, on pense aussi éventuellement au Moyen-Age, les châteaux, l’aspect historique, tout ça. Et puis le chômage bien entendu, des petits pays qui se battent les uns contre les autres... Enfin, là on quitte le domaine du cliché... J’ai l’impression que dans la tête des gens, l’Europe, c’est le continent du bourgeois, quoi. Tandis qu’avec l’Amérique, les clichés qui font fantasmer et qui sont présents dans la tête des gens, ce sont les grands espaces, la pointe des progrès techniques, les puissances politique et économique qui régissent la planète, mais aussi les gangs qui s’entretuent à chaque coin de rue, l’anarchie, etc.
Pourriez-vous être inspiré par des pays comme... la Russie, par exemple ?
Yves H. : Oui, mais la Russie, ce n’est déjà plus tout à fait l’Europe... C’est un pays qui va commencer à développer des fantasmes, maintenant : mafia, violence... On peut très bien s’imaginer que le diable se soit installé en Russie (rires). Là où je rejoins peut-être un peu l’avis de Boucq, c'est que ça ne coûte pas plus cher de faire un truc intimiste qu’une histoire "à gros budgets", un récit qui se passe loin que proche, il suffit d’avoir un papier et un crayon. Contrairement au cinéma français, qui doit souvent se cantonner à la France pour des raisons de budget. Là, la bande dessinée permet bien sûr de voyager, de faire se dérouler son histoire où on veut. Et si des dessinateurs éprouvent le besoin de situer leurs histoires aux Etats-Unis, ce n’est à mon avis pas uniquement pour répondre au goût du jour, c’est bel et bien lié à un besoin... un besoin qui est lui-même lié au succès du cinéma américain dont on nous abreuve, c’est clair.
Je me fais l’avocat du diable : j'ai l'impression que les dessinateurs européens ont de plus en plus la manie de faire dérouler leurs récits sur le continent américain en ce moment. Est-ce que les clichés américains et l’usage banalisé des armes à feu ne sont pas en train de devenir des facilités scénaristiques ?
Yves H. : Je reste tout à fait réaliste par rapport à la situation américaine que je n’envie pas du tout, je n'aimerais pas y vivre. Si c’est vraiment le pays qui m’inspire au niveau du scénario, c’est parce que c'est le pays le plus puissant du monde, qu'il possède donc également inévitablement en lui tous les fantasmes du monde ; c’est le pays du tout est possible, de l’excessif. En Europe, on rationalise tout.
Le défi scénaristique ne serait-il pas de parvenir à quelque chose d’autant plus passionnant qu’il se passe dans nos contrées ?
Yves H. : Non, parce que, même en Europe, l’inconscient collectif est tourné vers les clichés américains. Quand on pense à l’Europe aujourd’hui, on pense à de jolis petits villages, des villes sympa où il fait bon vivre... Oui, on pense aussi éventuellement au Moyen-Age, les châteaux, l’aspect historique, tout ça. Et puis le chômage bien entendu, des petits pays qui se battent les uns contre les autres... Enfin, là on quitte le domaine du cliché... J’ai l’impression que dans la tête des gens, l’Europe, c’est le continent du bourgeois, quoi. Tandis qu’avec l’Amérique, les clichés qui font fantasmer et qui sont présents dans la tête des gens, ce sont les grands espaces, la pointe des progrès techniques, les puissances politique et économique qui régissent la planète, mais aussi les gangs qui s’entretuent à chaque coin de rue, l’anarchie, etc.
Pourriez-vous être inspiré par des pays comme... la Russie, par exemple ?
Yves H. : Oui, mais la Russie, ce n’est déjà plus tout à fait l’Europe... C’est un pays qui va commencer à développer des fantasmes, maintenant : mafia, violence... On peut très bien s’imaginer que le diable se soit installé en Russie (rires). Là où je rejoins peut-être un peu l’avis de Boucq, c'est que ça ne coûte pas plus cher de faire un truc intimiste qu’une histoire "à gros budgets", un récit qui se passe loin que proche, il suffit d’avoir un papier et un crayon. Contrairement au cinéma français, qui doit souvent se cantonner à la France pour des raisons de budget. Là, la bande dessinée permet bien sûr de voyager, de faire se dérouler son histoire où on veut. Et si des dessinateurs éprouvent le besoin de situer leurs histoires aux Etats-Unis, ce n’est à mon avis pas uniquement pour répondre au goût du jour, c’est bel et bien lié à un besoin... un besoin qui est lui-même lié au succès du cinéma américain dont on nous abreuve, c’est clair.
J'aurais pu commencer par cette question, mais c'est aussi une bonne façon de clôturer notre entretien : quel a été votre parcours avant d'en arriver au métier de scénariste ?
Yves H. : J’avais
commencé l’I.A.D., des études de cinéma, mais j’ai arrêté parce que
j’y étais parti du mauvais pied. Ce n’est pas un
regret, mais je pense que j’étais un peu jeune, qu’à 19 ans je n’avais
pas la maturité nécessaire. Puis je me suis lancé dans
l’apprentissage de la BD... C’est une discipline
qui paraît simple de l’extérieur, mais ça nécessite une quantité de
connaissances et de travail si on veut arriver à un résultat
convaincant, surtout quand on veut tout faire tout seul, dessin et
scénario. La preuve est que mon Secret des hommes-chiens, qui date de
1995 je pense, était loin du compte. C'était une BD un peu humoristique et qui avait été encrée par mon père. Je pensais que la seule mention de son nom sur la
couverture allait me permettre de me lancer, mais ça a été un bide
complet... Les gens n’ont pas reconnu le style de Hermann et n’y
ont
donc pas cru ; en plus c’est de l’absurde et il y avait des défauts ; le
prix de vente était de plus anormalement élevé par rapport à un bouquin
normal... Je pense que pour lancer un jeune auteur, les éditions Dupuis
ont
fait une connerie. J’ai été déstabilisé par ce flop, j’ai eu du
mal à m’en remettre. Je ne renie pas complètement ce
bouquin, il y avait
de bonnes choses, mais c’était une œuvre de jeunesse, comme on dit. Ca n’a plus rien à voir avec moi aujourd’hui.
Je
me suis ensuite tourné vers la vidéo : reportages, mariages, concours,
des trucs comme ça... Comme ça ne suffit pas pour faire vivre son homme,
je suis devenu administrateur dans la société de mes parents, ce qui me
permet
de subsister à mes besoins... Voilà, c’est vrai, je suis un affreux fils
à papa, sauf que je n’ai jamais abusé de mon père en ne foutant rien,
sous prétexte qu’il avait de l’argent. J’ai toujours cherché à réussir, à
travailler par moi-même.
Joachim Regout : Merci à tous deux pour cet entretien.