(Cliquez ici pour revenir au début de cet entretien entre Hermann, Yves H. et Joachim Regout, en 2000 ou ici pour consulter le dossier Hermann.)
Avertissement pour ceux qui n'auraient pas encore lu cette bande dessinée : cette partie d'interview comporte des "spoilers" !
Avertissement pour ceux qui n'auraient pas encore lu cette bande dessinée : cette partie d'interview comporte des "spoilers" !
Joachim Regout : Dans
Liens de sang, beaucoup de mystères restent en suspens. Le mode de
narration est limpide, mais le scénar est tordu, et c’est une qualité
dans ce cas-ci. Les taches de peinture, la confusion entre les deux
Gladys et Josh, autant d’éléments difficiles à comprendre.
Yves H. : Oui, mais c’est volontaire de ne pas donner toutes les réponses. Je pense que pour poser le climat mi-polar, mi-fantastique de ce bouquin, il fallait laisser des éléments dans le brouillard.
Avez-vous les réponses, en tant que scénariste, que vous ne dévoilez pas ?
Yves H. : Oui, je pense avoir toutes les réponses à l’histoire.
Mais alors, dites-moi, c’est quoi cette peinture verte ?
Yves H. : C’est la question récurrente. (rires) Les taches vertes, ce sont des signes qui soulignent le destin de Sam. Il les voit, il est le seul à y attacher une importance, et finalement on retrouve le dessin de ces taches dans la mousse qui se trouve à l’arrière de sa tombe. Un signe que sa vie était tracée. Ce ne sont pas des indices, contrairement à ce qu’on pourrait croire au départ. C’est d’ailleurs pour ça que le bouquin est plutôt fantastique que polar, parce qu’il n’y a pas d’enquête.
En ce sens, on pourrait presque dire que le type de narration est comparable au Lost Highway de David Lynch, bien que ce dernier soit sans doute davantage extrême.
Yves H. : Oui, oui, ça c’est un film qui m’a marqué. Il y a un tas de choses qui font qu’on se demande si on a réellement bien compris, qui restent floues. J’aime bien ça. Pourquoi toujours hyper-rationaliser les choses ? Pour l’histoire des deux Josh et Gladys, c’est la même chose : c’est un retour passé-présent. Il y a deux buts dans l’histoire : montrer Josh et Gladys tels qu’ils étaient vingt ans plus tôt, montrer qui étaient les parents de Sam (un tueur et une femme de mœurs légères, à la vie assez dure) et les montrer à l’âge qu’ils ont réellement dans la "réalité". Cette sorte de double réalité, ça pourrait être ça l’enfer, finalement. Deux mondes parallèles tellement proches qu’ils se touchent, que le diable s’amuse à faire passer Sam dans un monde, puis l’autre, pour lui faire perdre ses repères et l’amener à assassiner son père. Je pense que c’est plus ou moins clair comme ça, non ? (rires)
Le travail avec votre père s’est visiblement bien passé puisque vous projetez de continuer cette collaboration...
Yves H. : Ah oui, on a vraiment pris plaisir à travailler ensemble.
Votre père se permettait-il des remarques au cours de la découverte du scénario ?
Yves H. : Non... Des remarques, oui, dans le sens où il me téléphonait pour s’assurer qu’il avait bien compris ceci, qu’il ne trahissait pas l’histoire s’il changeait un petit cadrage par là. C’est tout, juste des petites mises au point, quoi. C’est finalement aussi le travail du dessinateur. Il faut qu’il ait un petit espace de liberté.
Lui dessiniez-vous les découpages ?
Yves H. : Oui, je dessinais très sommairement les cadrages en plus de l’écrit, parce que mon père me l’avait demandé, pour avoir une "vision". Je n’allais pas pousser ça trop loin non plus, premièrement parce que ça n’a pas d’intérêt, et puis parce que je tenais à ne pas trop l’influencer et à lui laisser son espace de liberté.
Yves H. : Oui, mais c’est volontaire de ne pas donner toutes les réponses. Je pense que pour poser le climat mi-polar, mi-fantastique de ce bouquin, il fallait laisser des éléments dans le brouillard.
Avez-vous les réponses, en tant que scénariste, que vous ne dévoilez pas ?
Yves H. : Oui, je pense avoir toutes les réponses à l’histoire.
Mais alors, dites-moi, c’est quoi cette peinture verte ?
Yves H. : C’est la question récurrente. (rires) Les taches vertes, ce sont des signes qui soulignent le destin de Sam. Il les voit, il est le seul à y attacher une importance, et finalement on retrouve le dessin de ces taches dans la mousse qui se trouve à l’arrière de sa tombe. Un signe que sa vie était tracée. Ce ne sont pas des indices, contrairement à ce qu’on pourrait croire au départ. C’est d’ailleurs pour ça que le bouquin est plutôt fantastique que polar, parce qu’il n’y a pas d’enquête.
En ce sens, on pourrait presque dire que le type de narration est comparable au Lost Highway de David Lynch, bien que ce dernier soit sans doute davantage extrême.
Yves H. : Oui, oui, ça c’est un film qui m’a marqué. Il y a un tas de choses qui font qu’on se demande si on a réellement bien compris, qui restent floues. J’aime bien ça. Pourquoi toujours hyper-rationaliser les choses ? Pour l’histoire des deux Josh et Gladys, c’est la même chose : c’est un retour passé-présent. Il y a deux buts dans l’histoire : montrer Josh et Gladys tels qu’ils étaient vingt ans plus tôt, montrer qui étaient les parents de Sam (un tueur et une femme de mœurs légères, à la vie assez dure) et les montrer à l’âge qu’ils ont réellement dans la "réalité". Cette sorte de double réalité, ça pourrait être ça l’enfer, finalement. Deux mondes parallèles tellement proches qu’ils se touchent, que le diable s’amuse à faire passer Sam dans un monde, puis l’autre, pour lui faire perdre ses repères et l’amener à assassiner son père. Je pense que c’est plus ou moins clair comme ça, non ? (rires)
Le travail avec votre père s’est visiblement bien passé puisque vous projetez de continuer cette collaboration...
Yves H. : Ah oui, on a vraiment pris plaisir à travailler ensemble.
Votre père se permettait-il des remarques au cours de la découverte du scénario ?
Yves H. : Non... Des remarques, oui, dans le sens où il me téléphonait pour s’assurer qu’il avait bien compris ceci, qu’il ne trahissait pas l’histoire s’il changeait un petit cadrage par là. C’est tout, juste des petites mises au point, quoi. C’est finalement aussi le travail du dessinateur. Il faut qu’il ait un petit espace de liberté.
Lui dessiniez-vous les découpages ?
Yves H. : Oui, je dessinais très sommairement les cadrages en plus de l’écrit, parce que mon père me l’avait demandé, pour avoir une "vision". Je n’allais pas pousser ça trop loin non plus, premièrement parce que ça n’a pas d’intérêt, et puis parce que je tenais à ne pas trop l’influencer et à lui laisser son espace de liberté.
Quand
je lis les critiques BD, les journalistes reprochent souvent à Hermann
que ses femmes ne sont pas gâtées par la nature. C’est un fait qu’il ne
les représente pas idéalisées (Gladys fait ici partie des exceptions), mais l’aspect très charnel qu’il parvient
à rendre leur donne, je trouve, une forte sensualité.
Yves H. : C’est sa vision des femmes. Au lieu de prendre des top-models éthérés qui n’ont pas grand-chose à voir avec la réalité, genre Claudia Schiffer descendue de son nuage. Dany, avec ses petites poupées, par exemple, c’est le contraire de mon père dans sa représentation des femmes. Ce sont deux visions totalement opposées, mais c’est très bien comme ça. Et ce qu’en disent les journalistes, mon père, il s’en fout, pff ! Non, c’est vrai qu’il aime les femmes qui ont des défauts, comme les femmes de tous les jours, quoi ! Il aime ce côté charnel, c’est quelqu’un qui a vécu son enfance à la campagne, c’est un ardennais, un amoureux de la nature, de la forêt... Il dessine un arbre comme il dessine une femme, avec une consistance, des branches noueuses, tordues par la vie, éventuellement la maladie, le froid... plutôt qu’un peuplier, quoi. Je pense que c’est lié. C’est quelqu’un qui ressent les choses.
Yves H. : C’est sa vision des femmes. Au lieu de prendre des top-models éthérés qui n’ont pas grand-chose à voir avec la réalité, genre Claudia Schiffer descendue de son nuage. Dany, avec ses petites poupées, par exemple, c’est le contraire de mon père dans sa représentation des femmes. Ce sont deux visions totalement opposées, mais c’est très bien comme ça. Et ce qu’en disent les journalistes, mon père, il s’en fout, pff ! Non, c’est vrai qu’il aime les femmes qui ont des défauts, comme les femmes de tous les jours, quoi ! Il aime ce côté charnel, c’est quelqu’un qui a vécu son enfance à la campagne, c’est un ardennais, un amoureux de la nature, de la forêt... Il dessine un arbre comme il dessine une femme, avec une consistance, des branches noueuses, tordues par la vie, éventuellement la maladie, le froid... plutôt qu’un peuplier, quoi. Je pense que c’est lié. C’est quelqu’un qui ressent les choses.
Dans sa façon de suggérer ici l'omniprésence du vice, par un travail sur les atmosphères (les statues ou les zones aquarellées à la limite de l'abstraction), j’en suis quand même venu à me
demander s’il n’allait pas, dans un futur album, se libérer de son style réaliste, faire passer son ressenti autrement.
Yves H. : De toutes façons, je l’ai toujours connu en perpétuelle évolution. En quarante ans de carrière, il ne s’est pas contenté de dessiner les histoires d’un seul personnage, ni d'utiliser toujours les mêmes outils. Il y a plein de dessinateurs qui ne cherchent pas à évoluer, qui ont leur train-train, qui sont satisfaits tant que ça vend. Mon père, c’est exactement le contraire : c’est l’envie d’évoluer et d’aller plus loin qui le poussent à continuer. Mais je ne connais pas la direction vers laquelle il va.
Pour Liens de sang, j’ai voulu lui faire changer un peu les têtes de ses personnages. Un dessinateur a inévitablement des tics : quand il dessine le méchant, il a tendance à le faire toujours un
peu de la même manière... à répéter des physionomies de personnages que l’on a déjà vues dans ses albums antérieurs.
Un peu comme des acteurs attitrés, quoi.
Yves H. : Voilà. Eh bien, j’ai voulu un peu lui faire dessiner James Dean et certains autres comédiens, pour lui faire changer ses habitudes.
Malgré tout, les personnages ont toujours des "gueules" très "hermanniennes".
Yves H. : Oui, bien entendu. Mais je n’avais pas à intervenir outre mesure au niveau graphique.
Yves H. : De toutes façons, je l’ai toujours connu en perpétuelle évolution. En quarante ans de carrière, il ne s’est pas contenté de dessiner les histoires d’un seul personnage, ni d'utiliser toujours les mêmes outils. Il y a plein de dessinateurs qui ne cherchent pas à évoluer, qui ont leur train-train, qui sont satisfaits tant que ça vend. Mon père, c’est exactement le contraire : c’est l’envie d’évoluer et d’aller plus loin qui le poussent à continuer. Mais je ne connais pas la direction vers laquelle il va.
Pour Liens de sang, j’ai voulu lui faire changer un peu les têtes de ses personnages. Un dessinateur a inévitablement des tics : quand il dessine le méchant, il a tendance à le faire toujours un
peu de la même manière... à répéter des physionomies de personnages que l’on a déjà vues dans ses albums antérieurs.
Un peu comme des acteurs attitrés, quoi.
Yves H. : Voilà. Eh bien, j’ai voulu un peu lui faire dessiner James Dean et certains autres comédiens, pour lui faire changer ses habitudes.
Malgré tout, les personnages ont toujours des "gueules" très "hermanniennes".
Yves H. : Oui, bien entendu. Mais je n’avais pas à intervenir outre mesure au niveau graphique.