INTERVIEW (partie 1) de HERMANN & YVES H. : les 20 ANS de la BD "LIENS DE SANG"

E
n septembre 2000, Hermann déroutait une nouvelle fois son lectorat avec l’album Liens de sang, scénarisé (pour la première fois) par son fils, Yves Huppen (aux éditions du Lombard). Un "one-shot" souvent décrié lors de sa sortie et qui reste pourtant une curiosité fascinante dans la bibliographie du grand dessinateur. 

Ce récit de polar new-yorkais, moins linéaire, plus abstrait et mystérieux, allait lui permettre d’offrir de nouvelles planches sublimes, notamment en variant sa palette de couleurs directes et le type de physionomies qu’il avait pris l’habitude de créer. 



En 2017,
Hermann se remémorait ainsi de cet album (dans l’émission Kaboom! #36) :

"Yves m’a apporté, dans Liens de Sang - le premier album de notre collaboration - un élément lynchien qui n’existait pas chez moi. Quand je reprends ce bouquin, franchement je trouve qu’il tient la route. J’ai envie de dire qu’il est mieux encore qu’à l’époque où je l’ai fait !



Il ne faut pas oublier qu’il y a énormément de conservatisme chez les lecteurs. Ce n’est pas toujours un métier d’avant-garde, hein ! Il y a de tas de gens qui n’aiment pas que Hermann quitte tout à coup certains sentiers bien battus qu’ils aiment retrouver. Il y a aussi parfois quelque chose d’un peu perfide, certains se sentant le droit de m’attaquer à travers le fils ou je ne sais quoi.

Y
ves a été à deux doigts d’abandonner le métier après ça. Je lui ai dit : "écoute, ne fais surtout pas ça ! Tu sais, dans la vie, des gens qui éventuellement te détesteront, il y en a plein… Tu en auras toujours qui chercheront à te démolir ! Continue ta route, va tout droit, remonte sur le cheval, galope, merde, avance ! Ca, c’est mon principe. Et si un jour tu te casses la gueule pour de bon, c’est la vie, mais ce ne sera pas faute d’avoir essayé !"


Pour les 20 ans de Liens de sang, qui n'a pas à rougir à côté de certains autres
one-shots qui précédaient dans la bibliographie de Hermann, nous publions ci-après, et en cinq épisodes, une double interview que Joachim Regout avait faite alors que l'album venait de paraître :

Joachim : Hermann, faites-vous une différence entre vos one-shots proposés au Lombard (Caatinga, Liens de sang) ou chez Dupuis (Missié Vandisandi, Sarajevo Tango, Lune de guerre, On a tué Wild Bill) ? Je ne le perçois pas, mais changez-vous vos méthodes d'écriture en fonction de lignes de collections ou de votre éditeur ?
Hermann : Absolument pas ! Le fait que je travaille pour tel ou tel éditeur n’a vraiment aucune incidence sur mon travail. Je travaille à chaque fois très sincèrement pour absolument tous mes albums... mais j’ai le droit de réussir un projet mieux qu’un autre. Je vais vous dire quelque chose qui n’a rien à voir, mais le fait que Wild Bill marche mieux que Caatinga sur le plan commercial, ça ne prouve rien du tout. Il y en a qui n’ont pas du tout aimé Caatinga parce qu’ils n’ont tout simplement rien compris, ou parce qu’ils auraient préféré l’histoire d’un aventurier qui, à la fin, s’empare d’une arme et se venge... Ç’aurait été complètement con : je voulais faire une bande dessinée... je dirais un peu adulte. Et je ne vous cacherai pas que quand j’approche des gens d’un monde assez intellectuel, ce qu’ils ont préféré par-dessus tout était Missié Vandisandi... Par contre, commercialement, c’est sans doute celui qui a le moins bien marché de tous, sans pour autant être un flop ! Les gros succès ne sont pas forcément liés aux grandes qualités, et actuellement plus que jamais ! Parce qu’à l’époque où je suis entré dans le métier, en tant que petit dessinateur, il y avait la fameuse équipe Dupuis composée de Franquin, Peyo, Roba et tout ça... Eh bien, ces gens faisaient de gros succès avec de la qualité à ce moment-là. Actuellement ce n’est malheureusement plus le cas : les bonnes choses ne correspondent pas aux grosses ventes.

Le fait de travailler avec votre fils était-il une association plus compliquée parce que personnelle ?
Oui et non, je n’ai fait qu’obéir à son scénario. Quand je travaille avec quelqu’un, j’estime que cette personne est capable de faire son boulot... et je n’ai pas à lui dire : "Non, je voudrais que là il y ait un peu plus de présence féminine, à tel endroit plus de sel, là plus de poivre." Non, non, non, non, non : j’obéis à ce qu’on me sert.
 
T
ravailler avec lui doit avoir quelque chose de gratifiant pour vous, de touchant quelque part, non ?
Gratifiant... à la fin, oui. Parce que pendant que je réalisais – tout en sentant que ce n’était pas mauvais du tout - je ne savais pas si ça allait être bien mené, avoir sa densité jusqu’au dénouement... Comme il s’agissait de mon fils, disons que j’avais les fesses
un peu serrées, je me disais "Pourvu que ça soit bien jusqu’au bout.". Je n’avais pas pris connaissance de la totalité du scénario parce que je déteste être au courant de tout ce qui va se passer... J’ai presque envie d’être un lecteur qui dessine.

A
h, on vous sert le scénario petit à petit, donc.
Pour Lune de guerre (sur scénario de Jean Van Hamme) et Liens de sang, je l’avais dans sa totalité mais je n’ai pas voulu lire pour ne pas connaître tous les tenants et aboutissants de la chose, pour éviter une certaine perte d’enthousiasme, de "virginité".