Dans le cadre de l'événement exceptionnel qu'est l'exposition consacrée à Léonard de Vinci au Musée du Louvre (jusqu'au 24 février 2020), l'institution s'est une nouvelle fois associée aux éditions Futuropolis pour la publication d'une bande dessinée. Pour s'attaquer à une personnalité de cette envergure, il y avait intérêt à marquer le coup... et c'est au virtuose Stéphane Levallois qu'a incombé la tâche de nous en mettre plein la vue. Le nom de cet auteur est encore peu connu du grand public, mais je n'ai de cesse de vous en vanter les mérites depuis des années (cf. cette critique récapitulative, par exemple). Le bonhomme a quand même aussi offert sa participation sur des films de Wong Kar-Wai, Spielberg, Ridley Scott ou a aussi collaboré sur Narnia et Harry Potter. Excusez du peu.
La grande idée de Levallois pour ce bouquin, intitulé Leonard2vinci, c'est de s'être appuyé sur 160 emprunts à l’œuvre du génie de la Renaissance pour les insérer dans son récit. Le pari consistait également à parvenir à copier le style graphique du maestro et le mélanger au sien... ce qu'il réussit (ayant, paraît-il, poussé le vice jusqu'à s'être appliqué à faire les hachures à la main gauche). On retrouve ainsi certains éléments de décor, certaines physionomies déjà croisées au détour de toiles ou études anatomiques célèbres, mais aussi un dessin botanique détourné pour se muter en d'impressionnantes tentacules monstrueuses, des machines de guerre futuristes qui n'attendaient que la magie du récit pour entrer en action... car c'est à un mélange entre de la science-fiction et bribes évocatrices de la vie de Léonard que nous sommes invités, avec des allers-retours entre passé et futur. Un futur où le dernier recours pour remporter une guerre spatiale contre le mal absolu nécessiterait de ressusciter Léonard grâce aux techniques du clonage.
Voilà un scénario de BD qui pêche par ses excès... mais aurait-il à la fois été possible de rendre un hommage digne de ce nom à de Vinci sans aussi faire dans la démesure d'imagination qui le caractérisait ? Ce que je retiendrai, c'est surtout cet impressionnant jeu de piste entre les cases de Levallois et les oeuvres originales, ainsi que des planches somptueuses dans lesquelles il est vertigineux de se plonger, d'autant qu'elles sont imprimées en grand
format.
Je profite de cette chronique qui s'adresse tant aux amateurs de beaux-arts que de BD de science-fiction pour aussi donner un petit coup de projo sur cet autre ovni graphique qu'est Flesh Empire de Yann Legendre (paru aux éditions Casterman). Il y a ici une alchimie qui opère entre le design SF vintage (j'ai pensé au psychédélisme et aux films Barbarella ou Tron), une facture contemporaine (influence Sin City dans ce noir et blanc très tranché ?) et une vision futuriste fagocitée par les pixels, les trames aléatoires, les algorythmes, les puces électroniques... Ces aspects technologiques contrastent avec la sensualité des personnages... dont les corps et mémoires sont pourtant froids, décrits comme artificiels, effaçables à tout moment... à moins qu'ils ne puissent s'incarner ? Un récit de transhumanisme à rebours, avec un aspect visuel mémorable.
Chronique par Joachim Regout