Les éditions des Impressions Nouvelles dédient tout un pan de leur catalogue aux cinéphiles, réalisateurs, scénaristes et écrivains en tous genres, publiant coup sur coup des analyses parfois inattendues, souvent pertinentes (Musiques de films, nouveaux enjeux ou Films à lire par exemple), et même une réédition de LA Bible pour créateurs de récits : La Dramaturgie (L'art du récit) d'Yves Lavandier.
Outre cette incontournable référence (que je ne saurais évidemment que trop conseiller), notons aussi l'apparition d'une nouvelle collection, "la fabrique des héros", dont chaque ouvrage est l'occasion pour un spécialiste de passer à la loupe un personnage devenu mythique. De leurs origines aux dévellopements - au gré des aventures - de leur psychologie, de leurs comportements, voire de leurs physionomies et de leur look, Jack Sparrow, Dracula, Batman, Dick Tracy et bien d'autres sont et seront mis à nu.
Le tome consacré à Nosferatu / Dracula vaut particulièrement le détour. Tout d'abord parce que le vampire cristallise des influences horrifiques loin dans l'histoire de l'humanité et ses mythes ; qu'on y découvre ensuite que le roman "original" de Bram Stoker ne l'était pas forcément tant que ça, original ; que la créature a énormément évolué au gré de ses réappropriations littéraires et cinématographiques... ; et puis parce qu'avant de rimer avec un ensemble de stéréotypes qui le font ressembler à un magicien gothique et burlesque, ce lugubre protagoniste fait référence à des pulsions ataviques, des traumatismes enfouis des siècles passés ou encore, pourquoi pas, des modèles religieux ?!?
Extrait :
"Le personnage de Dracula ne manque pas d'avoir quelques points communs avec la figure du Christ, ce prophète qui suggéra de boire son sang, qui fut crucifié, dont on perça le flanc avec une lance puis qui ressuscita d'entre les morts.
Dracula, ressuscité ou mort-vivant selon les versions, nous promet tout aussi bien, par un rituel de partage du sang, la vie éternelle. Jésus et Dracula : les deux faces d'une même médaille frappée du sceau de la peur de la mort et, corrolairement, de la consommation du sang humain pour la conjurer. La sublimation du rite sacrificiel par la transsubstantiation - dogme de la présence réelle du corps et du sang du Christ dans le pain et le vin - est sans doute une des idées les plus fortes du christianisme.
Lorsque dans le premier livre de la Bible, Dieu épargne Isaac, le fils d'Abraham, et lui substitue un bélier, il abolit les sacrifices humains. Le sang de l'Alliance Nouvelle inaugurée par le Christ dans le Nouveau Testament rend inutile même le sacrifice d'animaux. Il s'agit là d'un renversement idéologique majeur, même si, dans les siècles qui suivirent, bon nombre de chrétiens ne renoncèrent pas si facilement aux bains de sang. Et les oeuvres de fiction ne furent pas en reste."
Intéressant, n'est-ce pas ? C'est aussi pour les qualités d'analyse et de plume d'Olivier Smolders que cet ouvrage s'apprécie. Ma chronique à propos de Voyage autour de ma chambre en témoignait déjà : ce cinéaste (de films d'art et d'essai) possède en effet aussi un talent d'essayiste qui rend son érudition extrêmement fluide à suivre, et ce malgré la quantité de références dont il nous abreuve. Plutôt que nous assommer avec sa culture, il stimule notre curiosité, ce qui est assez rare pour le souligner.
Ce livre comparant plusieurs adaptations écrites ou filmées du récit du célèbre vampire, attendez-vous bien sûr à être "spoilés" autant que piqués d'une envie irrépressible de (re)découverte.
Chronique par Joachim Regout