Editeur : Dupuis
En gagman, Raoul Cauvin* ne fait pas souvent rire à gorge déployée, mais il n’en est pas moins un intarissable colporteur ou inventeur d’anecdotes amusantes. On peut bien sûr lui reprocher sa surproduction, beaucoup de répétitions futiles, mais ses BD délassantes permettent aussi de retrouver une galerie de personnages réussis auxquels on s’est attachés. Nombreuses de ses séries humoristiques ont, au même titre que ses célèbres Tuniques Bleues, toucher un large public. Elles ont malheureusement aussi cantonné certains de leurs dessinateurs dans une certaine routine en-deçà de leur potentiel créatif. Je pense surtout à Bédu, dessinateur des Psys, dont le style graphique original s’épanouissait davantage dans la série "fantasy" Hugo ou quelques épisodes mémorables du "so british" colonel Clifton.
En revanche, l’association avec Cauvin semble avoir permis à Marc Hardy* d’évoluer, préservant le dynamisme de son style nerveux et son goût pour l’impertinence. Prépublication dans le journal Spirou oblige, les histoires courtes du fossoyeur Pierre Tombal restent bien entendu sages en comparaison des provocantes aventures de La patrouille des libellules ou des mésaventures sexuelles de Lolo et Sucette et de leurs clients (humour "pour public averti", sur scenarii de Yann), mais le ton mordant est toujours de mise, sans exclure quelques "private jokes" vachardes au passage.
On lit donc occasionnellement un album de Pierre Tombal pour… tenter vainement de tuer ce temps qui nous est compté, rire de cette mort qui nous emportera pour perpète (enfin, allez savoir…), mais aussi pour des mises en situation cocasses et ce mélange très réussi de "gros nez à la Franquin", d’art de la caricature, des personnages féminins très attrayants… Personnages féminins, qui, ceci dit, n’en sont pas pour autant épargnés par le sort, comme en témoigne ici celui d’une femme-canon (littéralement : de celles qui exécutent leur numéro dans des cirques).
Au rang des bonnes idées qui parsèment ce 30e volume (ni le meilleur, ni le moins bon), notons par exemple l’histoire des séances psy, les considérations écologiques ou encore les rivalités, les cruelles facéties ou les étranges connivences entre la Grande Faucheuse et la Vie - une mignonne jeune fille qui semble tout droit sortie d’un manga (et ayant fait son apparition au tome 27).
Bref, dans la surproduction Cauvin (Les femmes en blanc, L'Agent 212, Cédric...) et malgré les inégalités dans la série Pierre Tombal elle-même, cette dernière fait partie de celles dont on ne se lasse pas. Sans doute parce que le sujet de la mort taraude et inspire sans doute plus que jamais le scénariste vieillissant (né en 1938). Et puis parce que Marc Hardy est un grand dessinateur, qui continue d’investir fréquemment les histoires du fossoyeur avec de petits défis graphiques jubilatoires.
Chronique collective de la rédaction Asteline
* A lire aussi, nos avis à propos de
- Ange et diablesses (par Marc Hardy et Stephen Desberg)
- Coup de foudre T.1 (par David De Thuin et Raoul Cauvin)