Editeur : Delcourt
On parle peu
des vieux. Parce qu’ils rapportent moins que les ados ou la mythique
ménagère de moins de 50 ans ? Parce qu’ils nous embêtent ? Ou carrément
parce que ça nous fait peur ?
"Mourir, cela n’est rien, mourir, la belle affaire !… Mais vieillir, oh, vieillir", chantait Brel.
Au cinéma, il y a à peine un film tous les dix ans pour parler du sujet.
En
BD, certains auteurs portent aux vieux une tendresse particulière,
comme Cosey ou Geerts. Enfin non, ce n’est pas une tendresse
particulière. Disons simplement qu’ils n’oublient pas de les considérer
comme des êtres humains, aussi capables et dignes d’amour que les
enfants ou les adultes. "Leurs" vieux sont vivants jusqu’au bout :
chez Cosey, ils s’évadent des homes et restent jeunes jusqu’à la mort
(Orchidea, Zeke raconte des histoires) ; chez Geerts, ils restent partie
intégrante de la famille (Jojo).
Mais la vraie fin, triste,
sordide, quand tout part en couille, quand le corps lâche et
qu’Alzheimer vous mange le cerveau, quand les familles exaspérées
parquent leurs vieux dans des mouroirs dont ils ne sortiront que froids…
Cette réalité-là, la plus courante, qui la regarde en face ?
C’est
ce qu’a fait, et superbement, le dessinateur espagnol Paco Roca dans
Rides. En basant des personnages fictifs sur des faits réels, Roca nous
raconte l’histoire d’Ernest, placé par ses enfants dans une résidence
pour troisième âge après une violente crise d’Alzheimer.
Guidé par son
roublard compagnon de chambrée Emile, Ernest découvre l’horrible routine
de la télé branchée en permanence sur les documentaires animaliers. Les
repas, les médicaments et le sommeil pour seule préoccupation. Et
surtout le dernier étage, celui des séniles, celui où l’on monte pour ne
jamais redescendre… Il reste à Ernest à peine un an à vivre vraiment,
avant que la mémoire et la pensée ne disparaissent – avant d’être une
plante et de monter le dernier escalier. Comment se sentir vivant le
plus longtemps possible ? Ernest et Emile organisent la résistance…
Il
y a dans Rides comme un écho de Vol au dessus d’un nid de coucous
(roman culte de Ken Kesey, devenu film culte de Milos Forman), qui
décrivait la résistance d’un voyou charismatique dans l’univers
concentrationnaire d’un asile psychiatrique. Sauf que dans Rides, il n’y
a pas d’infirmière sadique : le corps médical fait son job sans états
d’âme, mais honnêtement. Sauf que dans Rides la révolte s’opère contre
le système tout entier, et cette civilisation qui refuse la mort au
point de jeter ses vieux comme des Vidanges perdues (titre du
remarquable film de Geoffrey Enthoven).
*** ATTENTION : LE PARAGRAPHE SUIVANT DIVULGUE EN PARTIE LA FIN DU RECIT ***
La résistance d’Ernest et
Emile sera un échec. Ils ne parviendront pas à redevenir jeunes, et
retourneront vers la case départ – ou finale. Mais au passage,
ils auront trouvé la solution : pour se sentir vivre, il suffit de
tendresse, d’amitié, d’amour. Et cet album intense se termine sur cette
note ténue mais chaleureuse, d’une émotion d’autant plus puissante
qu’elle sonne parfaitement juste.
*** FIN DU "SPOILER" ***
*** FIN DU "SPOILER" ***
Chronique par Geoffroy d'Ursel
N.B. : Lisez aussi nos chroniques à propos de Vers la sortie et Les Petits ruisseaux, des bandes dessinées qui traitent également, chacune à leur façon, du thème de la vieillesse. Nous vous recommandons aussi Eloge de la poussière, d'Edmond Baudoin (à l'Association). Dans un autre genre, humoristique et tendre, notons l'excellente série Mamette.