Editeur : Le Relié
Alejandro Jodorowsky ne ralentit pas sa
production. Au contraire, à près de 86 ans, le rythme de ses parutions
paraît effréné ! Toujours cinéaste, toujours scénariste de BD, toujours
écrivain, toujours libre penseur.
Précisons tout d'abord qu'A
l'ombre du Yi Jing n'est pas un essai pour qui souhaite s'initier au Yi
Jing (souvent aussi orthographié Yi King ou Yi-King) : il s'agit plutôt
d'une vision "poésophique" du Livre des Mutations (le plus ancien des
textes fondateurs chinois) et de ses hexagrammes. Une approche originale
d'un art dit "divinatoire", comme il l'avait déjà proposée avec Le
Chant du Tarot (chez le même éditeur, à ne pas confondre avec La Voie du Tarot, ouvrage
pratique co-écrit avec Marianne Costa et publié par Albin Michel).
Chaque texte court se veut poésie
émancipée des "embrouillaminis égotistes", se rapprochant de
l'essentiel dans son absolu même, à la façon d'Héraclite ou de Lao Tseu.
Excusez du peu.
La notoriété et l'âge d'Alejandro Jodorowsky
lui permettent d'adopter un ton solennel, souvent impératif,
paternaliste... mais n'abuse-t-il pas de ce type de formulations ? Bien
sûr, son lectorat et son auditoire sont pleins de ceux qui, dégoûtés des
institutions monolithiques et décadentes, se cherchent de nouveaux
(re)pères, des maîtres à penser simultanément plus ouverts, affirmés et
stimulants. Un Jodo qui prend la posture d'un sage de l'Antiquité me
semble en effet préférable que la multitude de gourous malhonnêtes et de
philosophes démagogues... Ca ne fait pas de ce livre-ci le plus
indispensable à se procurer, qu'on s'intéresse à Jodo ou au Yi Jing.
Même s'il est intéressant de voir ces
ponts dressés entre les réflexions thérapeutiques et métaphores
poétiques chères à l'auteur et les grands préceptes chinois, cet ouvrage
hybride contentera surtout ceux qui consultent déjà les tiges, pièces
de monnaie ou cartes du Tao en vue d'un regard alternatif sur leur
situation et d'un conseil.
SECOND AVIS :
A la parution de ce livre, je me suis inévitablement demandé si
l’artiste multifacettes et thérapeute Alejandro Jodorowsky s’était
attelé à un nouveau guide du Yi King ainsi qu’il le fît en son temps
avec La Voie du Tarot, un essai sur le tarot de Marseille devenu une
référence du genre. Si vous vous posez la même question, la réponse est
non. Après tout, un bouquin écrit à l’ombre d’un arbre parle-t-il
forcément de l’arbre ? S’il faut comparer A l’ombre du Yi King avec
d’autres ouvrages de l’auteur, on pensera davantage au Chant du Tarot et
peut-être même davantage à Solo de Amor, tant les 64 hexagrammes
divinatoires chinois semblent ici n’être qu’un prétexte thématique pour
l’écriture de poèmes en prose. Une base d’inspiration en somme. Pour le
praticien du Yi King, je pense qu’il y a ici plutôt de quoi rendre
dubitatif.
A son grand âge, Jodo est de toute évidence surtout préoccupé à
clôturer sa carrière de cinéaste en beauté (comme en témoigne son superbe La
Danse de la Réalité). Il semble laisser à ses
éditeurs le soin de mettre en forme le contenu de ses posts sur Twitter
et autres carnets de notes prises à la volée. Parfois cela donne des
petits bijoux, comme par exemple 365 tweets de sagesse dont nous vous
parlions en nos pages. Par contre, on peut à d’autres occasions
regretter un manque de sélection ou de peaufinage de ses textes. C’est
le cas dans le présent recueil, très inégal : on retrouve bien sûr
quelques points forts de son écriture (un sens imparable des
allégories), ses sujets de prédilection (l’ego, l’amour, la mort,
l’éveil de la Conscience, les métamorphoses salvatrices…), mais aussi
des problèmes de rythme, de fluidité. Est-ce lié à la traduction (de
l’espagnol) ?
A l’ombre du Yi King est un titre quelque peu trompeur pour un
ouvrage selon moi facultatif, tant pour les amateurs de la technique
ancestrale que pour les lecteurs férus de Jodorowsky.
Chronique collective de la rédaction Asteline