BD : Par la forêt

C
ela commence comme un polar: une fille court dans la forêt en écoutant de la musique au casque; quelqu'un la surveille, puis s'enfuit lorsqu'elle le repère;  son téléphone sonne et on apprend qu'elle est flic.
 
Appelée sur une nouvelle scène de crime, l'enquête qui occupe vraiment ses pensées reste toutefois le cas non-élucidé de Lucie, une joggeuse disparue en ces lieux depuis presque trois ans. Elle en est si obsédée qu'elle a même emménagé dans la maison de lotissement où habitait la victime. Et pour se soulager de son mal être, trouver une respiration, la policière s'adonne comme elle au jogging, sur le même parcours boisé.

On ne saura pas grand chose d'autre sur cette héroïne de BD, même pas son nom. Juste qu'elle vient, comme son collègue Kylian, de la  banlieue et d'un milieu défavorisé. L'atmosphère entre eux est tendue : après avoir eu une relation intime ensemble, lui semble demeurer amoureux et accepte mal qu'elle, en revanche, ne veuille plus de lui.

Assez vite, on perçoit que les affaires en cours, même celle de Lucie, ne sont pas l'intérêt principal des auteurs, qui privilégient l'atmosphère feutrée et énigmatique de la forêt.

La jeune fliquette, au gré de ses courses, découvrira l'identité de son suiveur du début (un passionné de captations sonores animalières) et trouvera la mère de Lucie, qui s'est recluse là, essayant de faire son deuil par une union avec la nature.

En refermant le livre, il est difficile de saisir ce qu'a voulu nous dire Anthony Pastor. On sent la volonté de tendre vers l'onirisme, le mystère, voire le paranormal. L'histoire essaie d'embrasser plusieurs thèmes, comme la relation avec le milieu naturel, l'isolement, le quotidien qui ronge, la société de consommation et le déterminisme social. Mais tout est si effleuré, évasif.

Chauzy (Revanche, Petite nature, Le reste du  monde, ...) s'en donne pourtant à cœur-joie, dans de grandes cases, avec une colorisation directe aquarellée, de belles couleurs orange et bleue souvent (peu de vert pour une forêt). La plastique de cette BD est irréprochable et peut prétendre au qualificatif de roman graphique. C'est donc d'autant plus dommage que le scénario de Pastor, à force de regards, de non-dits, d'évocation, de moments contemplatifs, dilue trop son propos et nous perde.

Chronique par Reynald Riclet

Bande dessinée parue chez Casterman