BD : Racines

Auteur : Pierre Duba 
Editeur : 6 Pieds Sous Terre


Si vous acceptez d’être portés par des sensations plutôt qu’un scénario "classique", vous allez être comblés. 
Le réalisateur de films d'animation pour adultes Raoul Servais (Harpya, 1979), ou Pink Floyd à leurs débuts, n’auraient d’ailleurs probablement pas renié le type d’univers que Pierre Duba met en place dans Racines, véritable chef-d’œuvre visuel, cauchemardesque et énigmatique, quasi sans mots, mais aux sonorités suggérées et puissantes. On tire du ravissement dans le terrifiant quand c’est un tel talent artistique qui le retranscrit.

En début d’ouvrage, l’auteur (ou son alter ego) semble plus égaré que jamais dans ses questionnements sur la nature d’un récit ou encore sur le masque des apparences. Des réflexions qui tournent à l’angoisse, saturent, s’apprêtent à
imploser. Les phrases, puis les mots, perdent leur sens, se désagrègent en des milliers de lettres, précipitant le protagoniste dans une chute introspective jusque dans les noires profondeurs de l’âme. Il évoluera en barque sur ces eaux inquiétantes et (quasi) silencieuses.

Avec le recul, les ouvrages précédents de Pierre Duba ressemblent
maintenant à des expérimentations convergeant vers ce Racines particulièrement abouti. Une impression renforcée par les lapins, déjà présents dans Sans l’ombre d’un doute, qui refont ici surface, et l'épouvantable créature poursuivant le protagoniste qui semble être la prolongation d'un démon japonais de A Kyôto.
 
Le dessinateur a des choses à communiquer par l’émancipation de l’image et l’économie de mots. Vous l’aurez compris, Racines est en marge du monde de la bande dessinée. On peut rapprocher ce livre d’autres grandes œuvres expérimentales/picturales telles La Beauté de Blutch ou certains ouvrages de Lorenzo Mattotti ou d’Alex Barbier.

Du grand art, qui tour à tour étonne, émerveille, secoue, fait frémir, aiguise les sens.

Chronique par Jean Alinea