La Patagonie résonne dans notre imaginaire occidental, comme un fantasme. Un bout du monde pour aventurier solitaire en quête de grands espaces rudes et sauvages. C’est une véritable plongée dans l’histoire de cet immense territoire austral, trop méconnu, auquel nous invite Jorge Gonzàlez.
En
1889, la Terre de Feu est le théâtre d’un véritable génocide indien. Jorge Gonzàlez introduit son roman graphique, à la manière d’un western,
avec le massacre des indigènes dont les colons anglais veulent
s’approprier les terres.
Dix-sept ans après l’arrivée de ces premiers Européens, c’est autour de la province isolée de Chubut que le récit s’enracine. Propriétaires
terriens, anciens mercenaires, commerçants, Indiens survivants - soumis
et exploités - cohabitent pacifiquement désormais.
Cette grande
saga historique, presque familiale, se déroulant sur plus d’un siècle,
s’attache surtout au quotidien de ces hommes et de ces femmes qui
peuplent la Patagonie. Une histoire transgénérationnelle qui parle de
métissage, de brassage des cultures, de perte d’identité, de sentiment
d’isolement et d’exode rural. En filigrane apparaît toute l’histoire
argentine : la colonisation, la dictature, les anarchistes… et on saisit
toute la portée historique et politique du récit.
Même si, au
fil de la narration on retrouve souvent les mêmes personnages,
vieillissants, on regrette cependant, un manque de vue d’ensemble. Les
personnages ne sont pas assez marqués, on se perd parfois et on peine à
suivre le récit. L’histoire est complexe et pas assez explicite pour qui
n’en connaît pas déjà quelques bribes… Tout cela rend la lecture un peu
ardue. Chaque chapitre est une chronique d’époque qu’on a du mal à rattacher les unes aux autres.
Alors,
on retient surtout le travail graphique de Jorge Gonzàlez qui fait
sensation. Des évocations d’ambiance magnifiquement suggérées. Des
mélanges de crayon noir, de lavis et de craies grasses, dans des tons
d’ocre et de marron, toute une gamme de tons gris… Il y a de la vie, de
la force, de la poésie dans ces dessins, dans ces couleurs, qui
provoquent un mélange d’émotions, de sensations intenses qui portent le
récit. On frise aussi parfois l’abstraction dans des croquis à peine
esquissés. C’est absolument superbe !
C’est surtout le 9e
chapitre, construit à la manière d’un documentaire autour de ce projet
artistique (et largement inspiré de la rencontre avec l’écrivain
Alejandro Aguado), qui apporte de la cohérence et de l’ampleur à cette
œuvre. Cette dernière partie dépasse, transcende l’ensemble et apporte
un éclaircissement, sur une histoire, jusqu’alors demeurée un peu floue.
Graphiquement tout d’abord, Jorge Gonzàlez s’y libère de toute convention formelle, ose la spontanéité totale et l'éclatement de ses mises en pages. Une réflexion sur l’héritage du passé ensuite : les
Argentins d’aujourd’hui ont le désir de redécouvrir et de préserver leur
culture amérindienne, jusqu’ici niée et bafouée. On comprend alors,
au-delà du témoignage historique, l’importance personnelle que revêt
ce livre pour l’auteur-dessinateur. C’est également l’occasion, pour
lui, de parcourir le chemin initiatique d’une quête identitaire, un
retour aux sources et aux origines.
On avait déjà découvert
et pu apprécier le grand talent de Jorge Gonzàlez, à travers des œuvres
aussi remarquables que Le Vagabond (sur scénario de Carlos Jorge, chez Caravelle), Hate jazz (sur scénario de Horacio Altuna chez Caravelle) ou
Bandonéon (chez Dupuis). Il confirme, avec ce Chère Patagonie, qu’il est
en passe de devenir un incontournable dans l’univers du roman graphique
contemporain. Sans parler encore ici, véritablement de chef-d’œuvre, on
s’en approche cependant. Un artiste fort intéressant, à suivre…
Chronique collective de la rédaction Asteline
Roman graphique publié dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis
Roman graphique publié dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis
Lisez aussi nos chroniques à propos
de ces autres ouvrages signés Jorge Gonzàlez :
- Maudit Allende
- Mécaniques du fouet
de ces autres ouvrages signés Jorge Gonzàlez :
- Maudit Allende
- Mécaniques du fouet