Voici
un véritable "opéra graphique" sur papier !
Comme à l’opéra, il y a une trame
simple, forte et qui met en évidence
la virtuosité de l'interprète. Et en grand maestro et tenor du dessin,
Dave McKean subjugue, envoûte, perturbe, jouant plus que jamais de multiples techniques, styles picturaux et rythmes narratifs. De sa plume aux pinceaux, en passant par la tablette graphique, il nous trace le chemin jusqu'aux tréfonds de l’âme humaine. Et pas forcément les côtés les plus lumineux, vous vous en doutez.
Deux histoires
évoluent ici en parallèle et en alternance - entrecoupées de scènes oniriques peintes, entre abstraction et expressionnisme. Elles annoncent un enchevêtrement. Les décrypter ne s’avère pas si simple au début : il y a le récit d’un
chasseur de monstres, déambulant dans une contrée légendaire avec son rapace, véritable arme vivante ; et puis, plus réaliste, il y a un écrivain du XIXe siècle, veuf inconsolable
et en plein tourment créatif.
Chacun de ces hommes évolue en marge de la
société et côtoie, un peu malgré lui, ceux qui ambitionnent les postes de pouvoir.
Il est de coutume que le
chasseur, après avoir débarrassé la ville d'un démon qui semait terreur et désolation, remette à un habitant une énigmatique pièce de monnaie. Celle-ci date de la Rome antique et
désignera le nouveau maire.
Quant au
personnage du poète-romancier, il est en régulière conversation
avec son frère, ce dernier insistant pour l'inviter aux réunions de
sa loge influente. Les individus qui s'y réunissent en secret se prennent pour des héritiers d'archétypes universels, le centre du monde.
McKean
dresse un tableau férocement noir de l’exercice politique et vante la
vie dans sa liberté, sa beauté… Sauf que même dans sa version de la
beauté, l’auteur de Mr. Punch, Cages, Black Dog et tant d’autres
n’arrivera décidément pas à se départir d’un côté obscur et
mélancolique.
Raptor c'est donc du grand art visuel, probablement
une des œuvres majeures dans la biographie du britannique, mais qui, une fois de plus, exige de ses
lecteurs un certain effort, l’acceptation de ne pas tout comprendre aux
textes du premier coup.
Ce n’est pas une bande dessinée qui
conviendra à tout le monde, mais selon moi une des parutions les plus
marquantes de 2022.