BD : Gauloises

S
i le style d'Andrea Serio a longtemps immité (avec virtuosité) celui de Lorenzo Mattotti, comme en témoignait - par exemple - son chatoyant jeu de cartes Le tarot de Dante, on le sent trouver ses propres spécificités depuis quelques années : u
n dessin plus "réaliste", des couleurs plus pastel (gris, bleus, ocres), une maîtrise totale des lumières d'Europe du Sud (ah, cette gestion des zones blanches), une façon de cadrer et de rythmer qui évoque tantôt la peinture de Hopper, tantôt le cinéma de Pasolini. Les éditions Futuropolis ne s'y sont pas trompées, en publiant Rhapsodie en bleu, sa première bande dessinée (en français tout du moins), sa version illustrée du court roman Le poids du papillon d’Erri De Luca, et à présent ce Gauloises, sur une histoire écrite par Igort.

 Pour les lecteurs esthètes, voilà qui s'annonçait déjà être un régal pour les yeux. Faut-il encore que le scénario suive. 


 
L
e récit, qui se déroule dans les années 1950 en Italie (Naples, Milan), est structuré sur la rencontre à venir de deux hommes. Le premier est un tueur à gages confirmé qui fume comme une cheminée (d’où le titre), le second un ex-boxeur qui a également appris à bien manier le pistolet pour ses commanditaires (mafieux). La tension qui mènera à la confrontation finale semble uniquement mettre en exergue la vanité de leurs existences, voire des existences humaines en général.

I
gort tente de renouveler sa narration en augmentant encore la dose de suggestivité, en morcelant l'histoire, la rendant non-linéaire, impressionniste même. Les dernières pages du livre évoqueront d'ailleurs la peinture de William Turner. L’auteur fait usage de nombreux clichés du polar, du roman noir et de l’Italie, comme pour nous donner les seuls indices compréhensibles auxquels nous pouvons nous raccrocher. La place est amplement laissée au graphisme
d'Andrea Serio. C’est mélancolique à souhait, frôlant l’abstraction jusque dans le texte en voix off, peu loquace, voire elliptique.
 
I
l n'y a ici aucun personnage qu’on apprend à connaître en profondeur, aucun auquel on pourrait s’attacher. Deux masques froids de durs à cuire, des airs tristes de femmes-objetisées, des passants fantomatiques, des décors auxquels seule la lumière semble conférer de la vie.
 
G
auloises
comblera davantage ceux qui cherchent un roman graphique pour s’imprégner d’une atmosphère que ceux qui s'attendaient à une intrigue bien ficelée. En ce qui nous concerne, on reste sur notre faim.

 Chronique collective de la rédaction Asteline