On ne présente plus Philip K. Dick (1928-1982) aux lecteurs de science-fiction. De récentes traductions revues et corrigées nous donnent cependant l’occasion de le faire connaître à ceux qui ont la chance d’avoir encore à le découvrir.
Tout d’abord, il est assez peu probable qu’aucun des titres de films ci-dessous vous soient étrangers. Ce que vous ne saviez peut-être pas, c’est qu’ils puisent tous leurs origines dans ce qui fût le cerveau complexe, paranoïaque, schyzo et mystique de cet écrivain américain, dont la bibliographie a non seulement marqué l’Histoire de la littérature du XXe siècle mais continue d’influencer des tas de créateurs contemporains.
Blade Runner (1982), film de Ridley Scott, s'inspire librement du roman Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (1968) ;
Total Recall (1990), film de Paul Verhoeven (avec A. Schwarzenegger et Sharon Stone) est l'adaptation de la nouvelle Souvenirs à vendre (We Can Remember It for You Wholesale, 1966);
Planète hurlante (Screamers, 1995), de Christian Duguay, est tiré de la nouvelle Nouveau Modèle (Second Variety, 1953) ;
Planète hurlante (Screamers, 1995), de Christian Duguay, est tiré de la nouvelle Nouveau Modèle (Second Variety, 1953) ;
Minority Report (2002) est filmé par Steven Spielberg (avec Tom Cruise dans le rôle principal), qui développe l'histoire courte du même nom (1956) ;
Paycheck (2003) est un film de John Woo d’après la nouvelle La Clause du salaire (1953) ;
Paycheck (2003) est un film de John Woo d’après la nouvelle La Clause du salaire (1953) ;
quant aux origines de A Scanner Darkly (2006), film de Richard Linklater, elles proviennent du roman Substance Mort (1977).
Des films incontournables ou dispensables, mais aucun réalisateur n’a osé s’aventurer sur le terrain de certaines œuvres majeures de ce maître de la SF, leur transposition à l’écran pouvant paraître quasiment impossible.
Nous aborderons quelques autres titres de sa bibliographie plus bas, mais après avoir présenté un minimum l'homme :
Philip K. Dick eût une enfance anxieuse, d'abord traumatisé par le décès de sa sœur jumelle, puis par le divorce parental ; mais il fût aussi marqué par les passions de la musique classique et de la lecture (des magazines "pulps", puis Edgar Allan Poe et Lovecraft).
En tant qu’étudiant en philosophie à l'université de Californie, il se fît renvoyer pour sympathies communistes. Le mélomane qu'il était saisit l’occasion pour entamer une vie professionnelle en tant qu’animateur radio et vendeur de disques.
Dès qu'il décida de se lancer en tant qu'écrivain, il devint un bourreau de travail nocturne (sous amphétamines), développant un imaginaire inhabituel, y distillant ses questions existentielles, se basant sur une documentation (scientifique, politique...) abondante. Reclus chez lui, il fuyait les mondanités, était écœuré par les actualités, mettait en doute la nature de la réalité et était convaincu d’être surveillé en permanence (déjà bien avant un étrange cambriolage en 1971, qui accroîtra encore sa paranoïa). Il sombra dans les drogues, vécut une suite de mariages et de concubinages désastreux, de déconvenues fiscales, de déménagements lointains, de dépressions chroniques... qui, dans le meilleur des cas l'inspirèrent (Coulez mes larmes, dit le policier, en 1970, par exemple), dans le pire le poussèrent à une tentative de suicide.
Survivant et désintoxiqué (sauf de médicaments), il prétendit avoir une révélation spirituelle en 1974, ce qui lui inspirera des livres comme Substance mort ou Siva.
Se familiariser avec son style et son univers - qui fait réfléchir, mais aussi frémir - peut se faire avec des recueils de nouvelles, dont l'excellent Le dernier des maîtres (version définitive proposée par Folio).
Si, en revanche, vous voulez entrer de plain pied dans l’œuvre romanesque, Le Maître du Haut Château (1962) fût son premier bouquin remarqué et une uchronie dans laquelle les nazis auraient remporté la Seconde Guerre mondiale ; Le Dieu venu du Centaure (1965) est un livre halluciné dont John Lennon aurait voulu faire un film ; Ubik (1966) est souvent salué comme étant son chef-d’œuvre absolu ; talonné de près par Radio libre Albemuth.
Tous sont disponibles chez J’ai Lu, excepté ce dernier, chez Folio. Publié pour la première fois à titre posthume (1985), il vint compléter la dénommée Trilogie divine - composée de : Siva (1980) ; L’invasion divine (1981) ; et La transmigration de Timothy Archer (1982) - sans qu’on sache trop si Radio libre Albemuth en est le prélude ou la conclusion. A chacun sa théorie.
L’intrigue nous présente les USA des années ’70, mais qui auraient basculé dans une dictature fasciste, dirigée par un président qui, aujourd’hui, nous fait étonnamment penser à Donald Trump. Philip K. Dick y dresse aussi un double autoportrait - lucide de ses troubles dissociatifs - , sa face obscure étant représentée par le disquaire instable Nicholas Brady. Ce dernier reçoit des messages en provenance d’une sorte de Saint-Esprit (Siva, qui est un acronyme sans apport avec le dieu hindou) ou d’extraterrestres qui lui conseillent d’entrer en résistance. Ce roman tourne évidemment autour de thèmes chers à l’auteur : contre-culture, mysticisme, métaphysique, manipulation de la réalité. Des événements issus de son vécu ont pu être démontrés, comme l’enquête d’agents du FBI concernant sa seconde épouse, ultra-gauchiste.
Au rayon des curiosités (mais chaque livre de de Dick n’en est-il pas une ?), Folio réédite également Deus Irae, une collaboration expérimentale et pourtant homogène co-écrite avec Roger Zelazny, entre 1964 et 1976. Il y est question de religion dans un univers post-apocalyptique. Une œuvre profonde que les fans des deux écrivains interprètent de diverses manières.