ESSAI : La sagesse espiegle

La sagesse espiègle a émergé d’un parcours tourmenté, celui d’un ex-dépendant affectif et homosexuel, obsédé par un corps (cette "perfection" que celui de l’autre quand on est handicapé moteur). C'est en acceptant de quitter les fausses sécurités, le vernis social, la recherche forcenée du renoncement et en remplaçant tout ça par la joie inconditionnelle d'être qu'Alexandre Jollien a trouvé la délivrance.

Cette mise à nu du philosophe suisse constitue un témoignage troublant, remuant et offre une réflexion constructive pour tous ceux qui complexent de leurs corps ; pour les mendiants d’amour ; pour les aliénés du sexe et les dépendants en tous genres ; pour les angoissés de la mort, du rejet, de l’abandon… ; et même aux réfractaires à la méditation (qu’il approuve même dans un certain sens). Il y a ici des pistes pour chacun d’entre nous, à des degrés divers. Des pistes d'empathie aussi et d'humilité devant notre condition humaine.

C’est en puisant dans les oeuvres des grands penseurs qui l'ont précédé - Spinoza, Nietzsche, Epicure, Epictète, Wittgenstein, Jung... -, dans l'enseignement de certains maîtres spirituels (dont Vimalakîrti ou Chögyam Trungpa), mais aussi - contre toute attente - chez ce romancier a priori peu vertueux qu’est Charles Bukowski qu’Alexandre Jollien a puisé les bases d’une "sagesse" bien à lui - réjouissante parce que parfois peu orthodoxe - et l’envie de créer une sorte de "polyclinique" pour âmes en détresse.

Cette vie est fréquemment un voyage en eaux tumultueuses et l’auteur nous convainc - non sans humour - de ne pas confondre le tragique avec nos psychodrames. Comme il le synthétise d’ailleurs très bien : "c’est le bordel, mais ce n’est pas un drame."

Parallèlement à cet excellent livre "papier" - qui, selon moi aurait gagné à être un chouïa plus court -, une version audio d’environ cinq heures et lue par Julien Allouf est à présent également disponible (dans la collection "Ecoutez Lire" de Gallimard).

Chronique par Joachim Regout