“Un
enfant juif rencontre la haine le jour de ses dix ans. J’ai été cet
enfant.” En deux courtes phrases, Albert Cohen livrait, en quatrième de
couverture de Ô vous, frères humains (1972), l’essentiel de son propos.
Et
c’est dans une adaptation écorchée vive du manifeste humaniste de cet
écrivain suisse romand du XXe siècle que le dessinateur Luz parvient à
exprimer certaines angoisses qui subsistent toujours en lui depuis cet
attentat du 7 janvier 2015 qui emporta ses copains de Charlie
Hebdo.
S’il s’était déjà exprimé à chaud dans Catharsis (chez le même
éditeur), pour éviter la folie et en ne parlant que de lui-même, c’est
dans un tout autre type de bande dessinée qu’il se libère une nouvelle
fois, de manière sans doute mieux canalisée. Avec Ô vous, frères
humains, il a pu, comme il le dit lui-même, creuser dans ses décombres
avec la pelle d’un autre.
On trouve ici une alternance contrastée
entre un trait linéaire poétique - presque à la Sempé - qui décrit très
bien l’innocence de l’enfance, et un basculement vers le distordu et le
sombre. Les angoisses du petit protagoniste se font alors
cauchemardesquement surréalistes, les mises en page se font
expressionnistes, évoquant les audaces de Will Eisner dans sa période de
maturité.
Oppression, incompréhension, désarroi et bribes d'espoir, ces émotions brillamment décrites par Albert Cohen ont trouvé en
Luz plus qu’un simple “adaptateur”. L’oeuvre se découvre une nouvelle
forme, tout aussi forte que la première.
Une introspection torturée
qui aura été doublement sublimée, transformée en belle réponse à la
haine et autres folies du monde… cela reste néanmoins un appel au
secours et à la raison des bourreaux, volontaires ou involontaires.
Chronique par Joachim