Editeur : Les Impressions Nouvelles
On devait déjà aux Impressions Nouvelles des risques pris sur le thème du
roman photo, avec la publication de Droit de regards de Marie-Françoise
Plissart et l’essai Pour le roman photo de Jean Baetens. Ces ouvrages
rendaient un brillant hommage à un genre très méprisé et au vrai
potentiel artistique peu exploité. C'est donc avec grand intérêt qu'on
attendait ce 286 jours, un projet annoncé comme exceptionnel par
l’éditeur Benoît Peeters (également connu comme scénariste des Cités
Obscures pour Schuiten ou de Tokyo est mon jardin pour... Boilet). C'est malheureusement tout le contraire auquel on a affaire.
Sur
la forme, le livre est épais (plus de 500 pages), tout en couleur et
luxueusement relié… mais à la lecture, on déchante complètement et on ne
peut s'empêcher de penser que cette carte blanche à Frédéric Boilet - et
à sa très jeune maîtresse espagnole - n’a pu être octroyée
que par copinage. Les auteurs se contentent en effet de livrer un album
photo sans autre intérêt que l’exhibitionnisme de leur intimité, sur une période de temps qui donne son titre à l'ouvrage.
On a
l’impression qu’il faut impérativement à Boilet une nouvelle
relation sentimentale et passionnée pour se remettre le pied à l’étrier
avec un nouveau livre. Si on avait apprécié le touchant Mariko Parade
(réalisé avec Kan Takahama, chez Casterman) et même adoré la façon dont
Aurélia Aurita* transposait leur vie commune dans Fraise et chocolat (2
tomes aux Impressions Nouvelles), là... ça en devient pathétique. Non
seulement par cette absolue nécessité pour l'auteur d'âge mûr d'avoir
recours à sa dose d'endorphines pour retrouver l’entrain créatif (sans
pour autant dessiner), mais aussi par l'absence d'imagination. Il n’y a
aucune trame ici et pas davantage d'originalité dans les prises de vue
ou les mises en pages. Juste une succession de clichés de relation au
quotidien, en poses séductrices ou au naturel. Si encore les pages étaient vecteurs d’émotion
ou de trouble... mais non.
Ce livre est bel et bien un album
photo intime qui semble ne s'adresser qu'aux deux intéressés. Car du
décor somme toute banal - une maison dans les Vosges, un jardin, une
plage... - aux scènes de nus (et un chouïa de sexe "cru"), j'ai du mal à
imaginer un lecteur ému ou émoustillé à la lecture de 286 jours.
J'ai beau avoir retourné le livre dans tous les sens, aurais-je loupé une subtilité ?
Chronique par Jean Alinea
* Notons que l'éditeur publie simultanément LAP !, la nouvelle BD d'Aurélia
Aurita, qui reste aussi dans le genre autobiographique, mais en
s'ouvrant à un aspect moins égocentré, plus documentaire, puisqu'elle
s'est immergée pendant une année dans le Lycée Autogéré de Paris, une
institution alternative, utopiste, qui propose d'autres manières de
vivre ensemble, sans hiérarchie ni compétition, ni notes, ni même
obligation d'assister aux cours.