Editeur : Grasset
Nick Carraway s’est installé dans un quartier aisé de Long Island, West Egg. Introduit dans le milieu encore plus huppé du quartier voisin, East Egg, où vit sa cousine Daisy, Nick observe, constate, vit, s’imprègne de cet univers superficiel et flamboyant de l’après-guerre des années vingt, dans une atmosphère opulente de terrains de golf, de piscines, de fontaines de champagne, de majordomes et de jazz enfumé. C’est pourtant dans la maison voisine de la sienne que sied le plus intrigant des personnages de cette grande scène mondaine : Gatsby évidemment. Ses fêtes majestueuses, l’aura de mystère qui plane autour de lui, ses centaines d’invités tous plus connus ou inconnus les uns que les autres. Tous s’installent chez lui sans carton d’invitation, sans pudeur, sans hésitation. Gatsby, habile chef d’orchestre, mène ce jeu dispendieux avec élégance.
Seul convive officiel de ses soirées, Nick devient confident et découvre les sentiments de Gatsby pour sa cousine aujourd’hui mariée au riche Tom Buchanan. Découvre aussi le plan, le rêve extravagant de Gatsby pour offrir enfin l’écrin parfait à son amour fou pour Daisy, cette beauté lasse et nerveuse prise dans le filet des relations désenchantées du beau monde new-yorkais.
S’il n’était cette vision distante, tiraillée et humble de Nick Carraway, ce livre perdrait de sa densité et de son intérêt. L’histoire pour elle-même n’est pas ce que ce roman renferme de plus subtil, mais bien ce brassage de valeurs, de décadence, d’hystérie, de sans-gêne, de priorités bousculées et de curieuses mais indéniables formes de naïveté. Narrateur plus qu’acteur, Nick est comme ce regard publicitaire du Dr T.J. Eckleburg, symbole forcément silencieux et récurrent au fil du livre.
Dès les premières lignes, Carraway expose son bagage de valeurs morales inculquées par son père ("Chaque fois que tu te prépares à critiquer quelqu’un, m’a-t-il dit, souviens-toi que tout le monde en venant sur terre n’a pas eu les mêmes avantages que toi") mais aussi en annonçant ses limites, celles qu’il aura constatées à la sortie des événements tragiques, absurdes, désolants qui ponctueront le récit. Et lui, si fier de sa probité, sera amené à accepter ses propres failles.
Il fut un temps où le rêve américain était déjà écœurant mais existait encore. The great Gatsby en est un symbole romanesque attractif et désespérant à la fois. F. Scott Fitzgerald n’avait pourtant pas envie d’entendre parler de son livre comme d’un "tableau de la vie à New York" même s’il savait qu’il ne s’agissait de rien d’autre. Inspiré de ses propres expériences et désillusions, travaillé et retravaillé par ses angoisses d’auteur, le livre n’a pas rencontré le succès commercial qu’il espérait à l’époque, laissant là, peut-être, s’exprimer ce manque de passion du public pour ses propres parts d’ombre.
"Et nous luttons ainsi, barques à contre-courant, refoulés sans fin vers notre passé."
Chronique par Virginie