Editeur : Dupuis
Avant les adaptations cinématographiques scandinaves, puis américaines, Millénium c’est bien entendu avant tout trois polars noirs – très noirs, même : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes (2005, 2006 pour la traduction française chez Actes Sud), La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette (2006) et La reine dans le palais des courants d’air (2007).
Le premier protagoniste de cette série est Mikael Blomkvist. On fait sa connaissance au moment où sa carrière de journaliste (pour la revue indépendante Millénium) est brisée par un procès pour cause de diffamation. Ses talents d’investigateur sont en revanche aussitôt sollicités par un vieil et fortuné homme d’affaires qui souhaite relancer une enquête abandonnée depuis quarante ans : celui de la disparition de sa nièce. Il sera secondé dans sa tâche par une punkette au passé trouble, fouineuse hors pair et pirate informatique de génie : Lisbeth Salander, qu’on retrouvera également dans les trois cycles.
Haines familiales, scandales financiers, complots : voilà le menu de Millénium, pimenté à coups de scènes trash et de rebondissements inattendus. Un menu apprécié, puisqu’il a fait un carton mondial. Ce phénomène éditorial retentissant fût par contre posthume pour son auteur suédois, Stieg Larsson (1954 – 2004).
Pour parvenir à "cibler" des "publics de masse" et "de niche", le sacro-saint marketing – apparemment la seule indétrônable philosophie unanimement adoptée par les entreprises dans notre belle société ultralibérale - prône la multiplication et la "dérivation" des "produits", les exploitations de filon qui s’avèrent bien plus rentables que d’investir dans de nouvelles créations artistiques fortes et innovantes. Les dirigeants gestionnaires de Dupuis ont donc négocié et obtenu le droit de faire du bestseller Millénium un souhaitable bestseller en BD. Notons qu'ils ont eu le bon goût de confier la mission à de solides talents… C’est déjà ça.
Nous avions en effet déjà découvert le graphisme impeccable de l'espagnol Homs avec L’Angélus et le scénariste belge Sylvain Runberg mène, depuis quelques années déjà, une carrière prolifique dans des genres éclectiques (London Calling, Orbital, Les Carnets de Darwin, la reprise de Mic Mac Adam ou Kookabura Universe…)
On sent les auteurs bien conscients de la difficulté d'adapter un roman en bande dessinée et de la nécessité d'un certain détournement de l’œuvre originale. Ils font preuve d'efforts louables, avec de "petites trahisons" pour les besoins d’un mode de lecture différent. Or, par certaines ellipses, certains sauts temporels ou géographiques aussi soudains que brefs, il y a en ces pages une densité d’informations qui cherche péniblement de l’aération. Parfois même de la clarté. Malgré les excellents cadrages et dessins, on sent que cette histoire n’a pas été originellement pensée pour le 9e Art. Il aurait sans doute fallu davantage de volumes que l’équation "2 BD = 1 roman" pour rendre cela probant. Mais… ç'aurait sans doute découragé le "lectorat-cible" et le "marché" est demandeur de cycles courts et de délais express entre la parution de chaque épisode.
Chronique par Jean Alinea