BD : Giuseppe Bergman (4 intégrales)

Auteur : Manara
Editeur : Drugstore


Ces rééditions viennent rappeler que Milo Manara n'est pas seulement un auteur de "BD porno à papa" (Le déclic, Le parfum de l'invisible...). Non. A la fin des années '70 et durant les années '80, Manara utilisa son trait élégant au service de récits ambitieux dans la lignée de ceux de Pratt ou Moebius. Jusqu’à un certain point, Giuseppe Bergman est aussi une série qui a su se bonifier au fil des tomes.

Dans le premier volume, rebaptisé (encore une fois) Aventures vénitiennes, on fait la connaissance du protagoniste : Giuseppe est un alter ego de son auteur, un jeune bellâtre qui a été sélectionné pour vivre l’Aventure avec un grand A. En réalité, c’est le seul à avoir répondu à l’annonce. Le voilà donc embarqué, trimballé, de Venise au fin fond de l’Amérique latine, pour vivre une histoire… qui ne parvient jamais à décoller réellement, sans cesse sabotée par des événements inattendus et des rappels maladroits que tout ici n’est que fictionnel. Si les expérimentations novatrices de Manara permettaient à elles seules de scotcher le public à l’aube des années ’80 et que son dessin reste impressionnant, le ton distanciateur de ce tome a mal vieilli. Il sera mieux exploité par la suite. 

Au niveau des influences, Hugo Pratt est omniprésent en guide de l’aventure, dans tous les sens du terme. On ressent aussi beaucoup l’impact qu’ont eu les expérimentations graphiques du Cauchemar blanc, du Bandard fou, d'Arzach et du Garage hermétique de Moebius, ainsi que la poésie décadente des films de Fellini. Bien sûr, qui dit Manara dit forcément un minimum d’érotisme, mais il est ici encore très suggestif.

Si vous ne connaissez pas la série Giuseppe Bergman, pourquoi ne pas commencer directement par Aventures africaines ? Voilà une grande BD, constituée d'un mélange (d)étonnant d’expérimentations graphiques, de psychédélisme et de détournement narratif pré-oubapien* ! 

D'une introduction somme toute classique - deux hommes se battent pour une mallette à la mystérieuse contenance -, on passe à une autre séquence, où Bergman attend impatiemment la présumée héroïne du film dans lequel il participe. Une héroïne qui se désiste finalement et se fait remplacer au pied levé par une habilleuse, Lou-Lou, forcée d’endosser le rôle d’une prostituée. Voulant échapper à ce scénario tyrannique, Lou-Lou et Bergman réalisent que même leur exil semble avoir été prévu. Par contre, un mystérieux rastaman parvient, lui, à contrecarrer les plans minutieusement préétablis par la productrice du film.

Parallèlement, on voit apparaître çà et là une jeune fille, Chloé, qui se joue des codes graphiques sans que l’on sache - dans un premier temps - ce qu’elle vient faire dans l’histoire. Malgré quelques longueurs et une dernière planche qui peut laisser dubitatif, cette lecture reste hors du commun !

A partir d’Aventures orientales, le dessin perd en expérimentations ce qu’il gagne en grâce du trait. Un trait qui se dépouille de hachures superflues. Le récit, quant à lui, nous happe dans un nouveau délire surréaliste et marquant. Une équipe de cinéastes a disparu en Inde et les bobines abimées du film ne s’avèrent visionnables que sur les lieux de leur tournage. Etrange. Notre héros reste ici assez en retrait au profit d’une belle vénitienne, qui fait monter la température sans rendre l’érotisme prédominant sur l’histoire mystico-onirique. Un équilibre que Manara peinera à retrouver par la suite de manière aussi réussie. 

Le dernier volume, Aventures mythologiques, compile deux albums jouant les prolongations : Revoir les étoiles (qui offrait une magnifique variante graphique au lavis) et L’Odyssée de Giuseppe Bergman (sans les couleurs numériques de la version parue aux Humanos). Un recueil plus facultatif, mais augmenté d'un très beau cahier graphique, avec recherches, aquarelles et images de couvertures (moins "cheap") des éditions précédentes.


Chronique par Joachim

* Créé en 1992, au sein de L'Association, l'OuBaPo (Ouvroir de Bande Dessinée Potentielle) est un des pendants du célèbre OULIPO (Ouvroir de Littérature Potentielle), lancé en 1960. Fonctionnant sur le même principe, les membres de l'OuBaPo (François Ayroles, Anne Baraou, Jochen Gerner, Gilles Ciment, Killofer, Etienne Lécroart, J.C. Menu et Lewis Trondheim) réalisent des bandes dessinées à partir de contraintes pré-établies.



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