Editeur : Frmk
Officiant depuis le milieu des années '70, Barbier est un auteur de BD marginal, expressionniste, subversif, rock'n'roll… et trop peu productif.
En attendant toujours la parution de son "ultime" bouquin* cette nouvelle édition, très attendue et brillamment réussie, du Dieu du 12 vient à point pour nous faire patienter.
Œuvre maudite et devenue introuvable, il s’agit là d’un des ouvrages-clés de sa bibliographie. Avec sa couverture toilée, cette bande dessinée est de plus un superbe objet. Chapeau bas aux éditions Frmk ! Les planches intérieures ont pu être restaurées à partir de l’édition en album chez Albin Michel ou des pages du magazine Charlie Hebdo, selon la meilleure reproduction existante de chaque planche.
En guise d’introduction, Alex Barbier écrit : "Ce livre est un rescapé. Deux fois. La première d’une publication originale très désastreuse. La seconde, de l’incendie criminel (en 1983) qui détruisit toutes les planches très originales, sauf deux. C’est un survivant d’un radeau de la Méduse qui aurait pris feu. Fichtre ! Un revenant, ça mérite quelque respect ! Quant à moi, devant ce revenant, je n’en reviens pas."
Si les récits composant Lycaons jetaient - dès 1975 - un pavé dans la mare de la BD traditionnelle, par leur mélange de surréalisme, de crudité et d’audace graphique (une des premières bandes dessinées en couleurs directes, avec le Arzach de Moebius), Le dieu du 12 (1982) est une confirmation, avec un certain aboutissement en prime. Le premier bouquin a quelque chose du document d’époque, aujourd’hui sans doute davantage destiné aux fans de l’auteur, tandis que le second n’a pas pris une ride.
En zones claires vivement colorées et en obscurs profondément noirs, Barbier trouve sa cohérence graphique. Quelque part entre du Guy Peelaert (Rock Dreams) et la peinture de Francis Bacon.
Dans un monde passé sous le joug d’extraterrestres aux noms ridicules, puis des machines (seconde partie), toute la France est occupée. Toute ? Non ! Perpignan semble être une ville irréductible car elle abrite en son sein… Dieu, un jeune homme qui ne semble pourtant ni maîtriser un quelconque pouvoir, ni mener une vie exemplaire.
Inutile d’en dire davantage.
La bibliographie toute entière de l’artiste s’axe autour des thèmes de la paranoïa, de pulsions libidineuses (de tous bords), de monstruosité-animalité-alienité survenant le plus souvent dans des villes de provinces où règnent hypocrisie, lâcheté et politique véreuse.
Malgré cet univers sordide, je n’ai jamais refermé un bouquin d’Alex Barbier déprimé.
Les textes sont décalés, parfois décousus, aussi poétiques que dépravés, et d’un humour (noir) certain… pour qui saura le saisir.
Du grand Art. Qui échappera probablement aux esprits trop cartésiens et aux consommateurs exclusifs de "culture de masse".