Auteur : Kroll
Editeur : Luc Pire
Il est rare, dans une rubrique BD, que l'on parle des dessins de presse. Et c'est dommage.
Bien entendu, ce sont deux genres différents. La BD est un art séquentiel ; le dessin de presse, la plupart du temps, ne consiste qu'en une seule case - traditionnellement sans bulle, mais avec un texte par dessous.
Le dessin de presse mérite pourtant toute notre attention puisqu'il nous pousse systématiquement à la réflexion par cette merveilleuse distorsion du réel qu'est le rire - ce que la BD ne fait qu'occasionnellement (il fut un temps où le journal Pilote "s'amusait à réfléchir"). En ce domaine, Pierre Kroll est notre gloire nationale, dont la renommée s'exfiltre doucement à travers les frontières (ses dessins sont régulièrement repris dans Le Courrier International). L'usage constant des bulles et récurrent des séquences en font l'héritier de la tradition BD belge, le chaînon manquant entre la bande dessinée et le dessin de presse. Eût-il été Français, il aurait été considéré comme l'égal (au moins) d'un Plantu. Personnellement, je le préfère largement à son équivalent d'outre-Quiévrain : le trait jeté et brouillon de Kroll donne à son dessin une énergie fébrile, une urgence que ne possède pas le trait lisse de son collègue du Monde. Son humour corrosif, ses gags à double ou triple détente font mouche presque à chaque coup.Contrairement à l'humour intemporel et a-géographique d'un Geluck, celui de Kroll, lié à l'actualité - principalement belge -, semble ne pas être appelé à survivre au vieillissement. Pourtant, cela fait quinze ans - quinze albums - que les éditions Luc Pire nous proposent chaque année une compilation des jets d'acide humoristiques de Kroll sur l'actualité. Il n'y a rien de particulier à dire sur ce nouvel album par rapport aux quatorze précédents : tous sont indispensables.
Ces recueils sont un peu notre mémoire, et il est plaisant d'y revenir comme on revient sur un album de photos de famille, pour se souvenir de qui l'on est, pour mieux savoir où l'on va.
Chronique par Geoffroy d'Ursel
