Auteurs : Cabanes et Manchette
Editeur : Dupuis
Militant d’extrême-gauche pendant la guerre d’Algérie, Jean-Patrick Manchette fut le pionnier de cette génération d’auteurs (Didier Daeninckx, Jean-Bernard Pouy, Jean-Claude Izzo, Frédéric H. Fajardie, Jean Vautrin…) qui renouvelèrent le polar français en se servant de la Série Noire comme tremplin pour la critique sociale.
Les ténébreuses visions sociales de Manchette, d’un "béhaviorisme" proche du grand maître américain Dashiell Hammett, ne pouvait que plaire à Tardi. Leur collaboration a donné l’adaptation BD de l’un de ses romans, Le petit bleu de la côte Ouest, et surtout un scénario original d’une violence et d’une noirceur abyssales : Griffu, petit chef d’œuvre méconnu de Tardi.
La princesse de sang est le dernier roman, inachevé, de Manchette. Il s’écarte résolument de ses œuvres précédentes : avant sa mort en 1996, l’auteur de La position du tireur couché avait entamé un nouveau cycle intitulé Les gens du mauvais temps, dans lequel il comptait proposer une relecture romanesque de l’histoire contemporaine depuis la Seconde Guerre mondiale.
Thriller planétaire haletant sur fond d’espionnage et de trafic d’armes, La princesse du sang joue, comme son nom l’indique, sur les codes du roman de cape et d’épée. Ca se lit comme un mélange d’Alexandre Dumas, de Victor Hugo et de Paul Féval où le 44 Magnum remplacerait la rapière.
Nous faisons connaissance avec l’héroïne, Ivy Pearl, en 1944, dans les décombres de Berlin. Plus Gavroche que Cosette, elle est prise sous l’aile d’un Jean Valjean britannique, officier des Services Secrets en mal d’excuses pour ses passions homosexuelles. Douze ans plus tard, Ivy Pearl est devenue une superbe jeune femme. Mi-reporter photographe mi-barbouze, elle ressemble désormais à une d’Artagnan moulée dans le corps d’une Sophia Loren. Inquiet de la voir si épuisée, son très british mentor l’envoie prendre des "vacances" dans la jungle cubaine. L’espion anglais sait pertinemment qu’elle devra un jour ou l’autre y rencontrer un baroudeur musclé et une enfant sauvage. L’homme, version moderne du chevalier de Lagardère ou du garde-chasse de Blanche-Neige, est l’ex-kidnappeur de la fillette reconverti en protecteur de celle qui aurait dû être tuée après l’enlèvement…
Cette soupe de mythes habilement remis au goût du jour se déguste comme un minestrone savoureux, à la saveur puissante et au fumet exotique. Le dessin toujours aussi séduisant de Cabanes n’est pas pour rien dans la réussite de ce premier volume. Mais c’est surtout la qualité de la transposition opérée par le dessinateur qu’il convient d’admirer : Cabanes parvient à garder l’énergie du roman sans rien perdre de la quantité d’informations distillées dans l’œuvre littéraire.
La suite ! Vite !
Chronique par Geoffroy d'Ursel