Auteurs : Mallié, Loisel, Djian
Editeur : Vents d'Ouest
Sans pousser l’aspect contemplatif aussi loin que dans les bucoliques tomes de Magasin général (Casterman), Régis Loisel semble vouloir prendre le temps pour dévoiler les secrets de ce Grand Mort, une série de genre fantastique plus dense et originale que ce que Larmes d’abeille (le tome 1) laissait présager !
Sur le plan du graphisme, Mallié clone avec professionnalisme le style auquel nous avait habitués Loisel du temps où ce dernier se chargeait intégralement du dessin (La Quête de l’Oiseau du temps, Peter Pan) : la physionomie des personnages - humains ou humanoïdes -, les décors, le découpage… Oui, tout est vraiment "loiselien".
Dans le second album, on retrouve le héros métis, Erwan, revenant dans notre réalité. Sa préoccupation première est à présent de retrouver Pauline, cette étudiante qui l’avait accidentellement suivi dans sa courte mission dans le monde du "petit peuple".
En se rendant dans un Paris en état de siège, où des gens sont contraints à loger sous tente dans la rue, Erwan conscientise le bond temporel de plusieurs mois (voire un peu plus ?) qui s’est opéré depuis son départ en voyage dans l’autre dimension. Les propos d’un aimable passant, ex-ingénieur au chômage, donnent le ton (à donner froid dans le dos) :
"Aujourd’hui, la Chine a pris presque tous les marchés. Et avec le prix du pétrole pour les faire venir de là-bas, les produits sont devenus plus chers que quand c’est nous qui les fabriquions… Mais maintenant, on aurait du mal à revenir en arrière, les travailleurs européens ont perdu leur savoir-faire. Ils n’ont pas suivi l’évolution technologique. On est gouvernés par des incompétents ou des magouilleurs. Les politiques ont obéi aux lobbies agro-alimentaires et pétroliers… Alors maintenant, comment on fait ? (…) Les nécessiteux deviennent de plus en plus nombreux, les donneurs de plus en plus rares."
Cette soudaine incursion dans une anticipation sociale pessimiste, probable et nous concernant tous, contraste après une séquence "heroic fantasy". Mais étonnement, le mélange des genres fonctionne très bien et c’est là que Le Grand Mort dévoile tout son intérêt.
Le suspense est haletant et le sort de Pauline s’avère… très préoccupant !
Chronique par Jean Alinea