Joachim Regout : Ta série Alef-Thau se déroule dans un rêve ou un coma…
Alejandro Jodorowsky : L'univers d’Alef-Thau n'est pas clairement dans un rêve. Le monde "imaginaire" et le monde "réel" s'entremêlent de plus en plus. Dans Le monde d'Alef-Thau, on découvre que les personnages "rêvés" ont une existence réelle. Dans le
deuxième volume de ce cycle, les deux mondes vont définitivement s'entremêler. Alef
Thau devra vaincre des ennemis dans notre Paris actuel.
On met en garde les jeunes scénaristes contre le défaut du "deus ex-machina", des hasards trop heureux. Pourtant, dans certains récits - le premier cycle d’aventures d’Alef-Thau (dessiné par Arno/Covial), par exemple - tu utilises cela pour sauver tes personnages de situations inextricables.
Il ne faut pas mépriser le deux ex-machina, qui est une invention du théâtre grec, qui lui-même fut précurseur du surréalisme. Jung a investigué cette forme de miracle et l'a apellé "synchronicité". Parfois, très souvent pour ceux qui ont les yeux mentaux ouverts, se succèdent des événements qui nous semblent impossibles, illogiques... mais qui ont une réalité essentielle. Tu peux appeler "deus ex-machina" tes rêves, tes actes manqués, les coups de foudre amoureux, etc. Une véritable oeuvre d'art n'est pas obligée d'être logique. C'est ça ce que Moebius a essayé de démontrer pendant des années. Il faut lire Inside Moebius.
Tes thèmes favoris, depuis tes premiers films est l’élévation humaine, la "transformation de merde en or". Sauf notamment dans la bande dessinée Gilles Hamesh, où la merde reste merde. Un plaisir sadique ?
Non, plutôt un entracte comique. Le philosophe Wittgenstein a dit "Le savoir et le rire se confondent"... Le fait d'introduire des entractes comiques dans une longue activité sacrée est une tradition mystique millénaire. Le meilleur exemple est le Carnaval, inventé par les prêtres du Moyen Age. Ils braillaient comme des ânes pendant la messe et forniquaient dans tous les coins du temple.