Ayant au départ imaginé ce projet pour le cinéma, Laurent Galandon s'est vite adjoint les services d'Anne-Sophie Reinhardt, réalisatrice de documentaires à caractère social, pour l'écriture du scénario. Lorsque l'idée d'en faire finalement une BD survint, Amandine Puntous fut conviée dans l'aventure. Elle put glisser sans problème son dessin mi-aquarelle mi-numérique dans le découpage déjà élaboré par le duo. Le style semi-réaliste et les camaïeux de gris ou d'ocre servent bien l'ambiance de fin d'hiver.
La force du récit est d'y aller par petites touches. Les idées reçues ou préconçues que Jeanne/Jennifer éprouvent envers les occupants des ronds-points ne s'envolent pas en une soirée passée avec eux. D'ailleurs, elle peut constater quelques propos homophobes ou racistes, qu'on a eu vite fait de généraliser dans les médias à l'époque. Mais ces femmes et hommes ne peuvent être réduits aux propos de quelques-uns. Désespérés, en souffrance, dans la misère, les gilets jaunes ont fait l'expérience du collectif, d'une (re)politisation, ont essayé de penser une société meilleure, demandé plus de démocratie (le RIC par exemple). Le monde libéral a explosé volontairement la conscience politique des travailleurs en morcelant le travail, en détruisant les notions de métier et d'ouvrier, en évacuant le vocabulaire de lutte... Ce moment historique les réunit, les unit. Et Jennifer s'est rêvée en trans-classe, elle est rattrapée par son déterminisme social. Plongée dans le réel de ceux qu'elle décriait, elle les comprend.
Le temps des jonquilles est une fiction, certes, mais qui ferait du bien à ceux qui n'envisagent le peuple que comme une entité incapable de penser, de réfléchir. Eux qui se disent démocrates.
Une belle réussite.